Georges Molinié est président de l’université Paris Sorbonne depuis le printemps 2008 (site de Paris IV). Il m’a accordé un entretien en Sorbonne, le 15 septembre à 9 heures 30. Appariteur qui filtre les entrées, files d’étudiants en attente devant les secrétariats pour les inscriptions pédagogiques, panneaux annonçant des désagréments durant la période de travaux, ascenceur ancestral, quelques minutes d’attente dans le hall de la présidence, excellent café pour patienter, président jovial qui vient m’accueillir, passage par la salle à manger, prête pour le déjeuner (« j’accueille une vingtaine de délégués de Chine »), bureau de président digne de la fonction. La responsable de la communication assiste à l’entretien.
Trajectoire de Georges Molinié. CV en ligne sur le site de l’université. 66 ans en décembre prochain : le président est mon cadet de 2 mois et devra donc partir en retraite en fin de mandat. Retraite : ne pas confondre avec inactitivé ! J’en témoigne !
Le parcours est classique pour un enseignant de cette génération ; aujourd’hui, il serait qualifié de carrière fort brillante. Agrégé de lettres à 23 ans, Georges Molinié, natif de Cahors dans le Lot, est aussitôt nommé professeur en lycée à la rentrée de 1968… au Havre. 24 ans : parenthèse d’une année comme chargé de mission auprès d’un secrétaire d’Etat.
26 ans (1970) : la carrière universitaire commence. 9 ans comme assistant en Sorbonne. 35 ans (1979) : après l’obtention d’un doctorat d’Etat Es Lettres (langue et littérature française, philologie), le spécialiste de la littérature française du 17ème siècle, professeur de stylistique française, est nommé professeur à Toulouse Le Mirail ; retour en Midi-Pyrénées ! 44 ans (1988) : nomination à Paris Sorbonne.
Parcours de « responsabilités administratives » également classique et qui finit par conduire à la candidature à la présidence de Paris Sorbonne en 1998. Responsabilités exercées d’abord au sein de la discipline, au niveau local (directeur de DEA, de centre de recherche, de l’UFR de Langue française) et au niveau national (membre du CNU, section « Langue et littérature française », membre du Comité national du CNRS en « Sciences du langage », directeur de la « Revue XVIIème siècle). Responsabilités au sein de l’université : vice-président en charge du Conseil scientifique en mars 1997.
53 ans et demi (mai 1998) : Georges Molinié est élu président de son université, Lionel jospin est premier ministre. Le nouveau président de Paris IV succède à Jean-Pierre Poussou, agrégé d’histoire. Pour le nouveau président, le contexte du travail en Sorbonne pose problème. Les professeurs, sur qui repose le rayonnement de l’université, manquent de moyens et ont des charges pédagogiques et administratives importantes. La situation se dégrade d’année en année. Il faut s’attaquer à cette question pour pouvoir mener des recherches plus nombreuses et de grande qualité.
Au cours de son mandat, Georges Molinié se mobilise au sein de conférences de présidents : président de la commission des relations extérieures de la CPU, vice-président de la CPU, président de l’association des présidents des universités de Paris intra-muros, président de l’association des présidents des universités d’Ile-de-France. Le mandat terminé en 2003, Georges Molinié retourne « à ses chères études ».
58 ans et demi (mai 2003) : le mandat de Georges Molinié est terminé. Les présidents d’université ne pouvant être réélus, le congrès de l’université (les trois conseils) élit à la présidence de l’université, Jean-Robert Pitte, directeur de la formation continue et vice-président du Conseil d’administration au début du mandat de Georges Molinié. Face à 3 autres candidats, le futur DIO est élu au 1er tour de scrutin par 70 voix sur 120 membres du Congrès.
63 ans et demi (mars 2008) : le retour. La LRU permet la réélection des présidents d’université. Jean-Robert Pitte est candidat à sa succession. C’est la 1ère fois, à ma connaissance, que deux anciens présidents s’affrontent au cours de la même élection. L’entretien avec Georges Molinié débute par une première question : « pourquoi ce retour » ? « Redevenir président n’était pas dans mes intentions ; après mon premier mandat, j’avais recommencé cours et conférences et cela me satisfaisait. Des collègues sont venus me chercher. Face à ces pressions amicales, j’ai beaucoup hésité, ne serait-ce parce que je risquais d’être battu ». L’élection a en effet été difficile. Février 2008, élection au Conseil d’administration : dans le collège des enseignants, la liste soutenant Georges Molinié (« Avenir de la Sorbonne ») obtient 7 sièges ; celle soutenant Jean-Robert Pitte (« Excellence des humanités ») obtient également 7 sièges ; ce dernier l’emporte nettement dans le collège des professeurs et c’est l’inverse dans le collège des maîtres de conférences. Mars 2008, le CA procède à l’élection du président : Georges Molinié obtient 11 voix, Jean-Robert Pitte 8 voix ; il y a une abstention. Lire aussi la chronique : « Pitte, l’orienteur« .
Points inédits de cette élection : un affontement entre deux anciens présidents, une réélection après un 1er mandat, terminé 5 ans auparavant (ce cas se compte sur les doigts d’une main) ; une élection serrée ; une élection par 11 conseillers seulement ; un président réélu qui pourrait faire valoir ses droits à la retraite (aucun président d’université n’avait été élu jusqu’ici, à l’âge de 63 ans et demi).
L’entretien avec Georges Molinié se poursuit. La charge de travail. « Je ne pouvais imaginer, début 2008, ce à quoi je devrais faire face durant mon mandat : trois mois de pertubations au printemps 2009 avec le mouvement des enseignants-chercheurs, les grands travaux commencés en Sorbonne, les négociations pour la création du PRES « Sorbonne Universités », le passage aux responsabilités et compétences élargies (RCE) au 1er janvier 2011″.
Les RCE ? « Passer aux RCE est obligatoire. J’ai combattu la LRU mais je suis républicain : j’applique la loi. Il était important de n’être pas dans les derniers à passer, début 2012, aux RCE. Il n’était pas possible d’y passer avant début 2011. Il a en effet fallu faire un travail colossal (en particulier dans le champ des ressources humaines), recruter des compétences que nous n’avions pas. Je n’attends pas grand’chose du passage aux RCE, à peine un peu plus de marge de manoeuvre en matière de recrutement et d’affectation des emplois. Ce que j’observe, c’est non pas plus de responsabilités et de compétences, mais un contrôle croissant du ministère et du rectorat. A la limite, nous nous trouvons seulement libres de gérer la pénurie ».
L’élection du Président ? « J’ai été élu une première fois par un collège électoral de 120 conseillers ; j’ai été réélu par un CA de 20 conseillers (dont 3 étudiants seulement). Les CA LRU donnent moins de légitimité aux présidents élus. Je n’apprécie pas non plus le scrutin de liste avec bonus pour la liste majoritaire, ne serait-ce que de quelques voix : ce type de scrutin politise l’élection du président »… « Dans la situation actuelle, c’est mieux que les personnalités extérieures ne participent pas à l’élection du président, car elles sont cooptées par le CA sur proposition… du président. Ce pourrait être différent si le collège électoral élisant le président était plus large ».
Le pouvoir de veto du président ? « A l’usage, je me demande : ai-je plus de pouvoirs que durant mon premier mandat ? Ce n’est pas si sûr ! J’ai combattu la loi LRU sur ce point. Au cours de mon premier mandat, j’ai demandé une seule fois au CA de casser la proposition de recrutement faite par une commission de spécialistes ; le CA m’a suivi. Depuis l’instauration des comités de sélection, je n’ai jamais exercé de droit de veto sur les recrutements« . Un président sur-puissant ? « Encore aujourd’hui, ce n’est pas difficile pour un conseil d’administration de mettre en difficulté un président ; il suffit que le CA ne vote pas le budget » ! Seriez-vous partisan de la possibilité pour le CA et/ou les 3 conseils de voter une motion de censure amenant le président à démissionner ? « Je n’ai pas pensé à cette possibilité ». Le décret de juin 2010 sur la prime des présidents ? (chronique : « La CPU, chronique d’une mort annoncée« ). « Les primes de président ont toujours été d’un niveau ridicule. Nous exerçons une responsabilité colossale dans tous les champs de l’activité universitaire et nous sommes pénalement responsables. L’augmentation des primes est justifiée. Bien entendu, la partie de la prime liée aux objectifs fixés par le ministre est stupide. Nous n’avons pas à être sous la dépendance du ministre ; nous sommes élus et non nommés. Je tiens à défendre la fonction de président et son autonomie, même, si, bien évidemment, le président doit mettre en oeuvre les lois votées ».
La performance, les indicateurs de performance ? (chroniques sur le « financement selon la performance« ). « Mesurer la performance est une bonne idée en soi. D’accord également avec la perspective d’un financement selon la performance certifiée. La répartition des dotations entre les universités s’est toujours faite jusqu’ici selon des critères opaques. Avoir des indicateurs est un progrès mais il faut bien sûr – je suis professeur de rhétorique – discuter de l’idéologie qui est derrière la mise en avant de la performance ».
« Qu’est-ce par exemple que la performance d’un hôpital ? Il faut garder l’esprit critique !… Les indicateurs, c’est aussi de la cuisine pour la négociation du contrat quadriennal. Selon les modes de calcul ministériels, nous sommes au-dessus des niveaux attendus ! Mais qui fixe les niveaux de performance attendus ? Prenons un exemple, celui de la préparation aux CAPES. Avant, on mesurait la performance en fonction du nombre d’admissibles ; si on garde le même indicateur alors que le nombre de postes mis au concours diminue fortement, on pourrait conclure que nous sommes devenus moins performants. Il est clair dans les temps qui viennent que des reçus-collés aux CAPES seront recrutés pour effectuer des remplacements. Observant ceci, un indicateur de performance pourrait conclure à la fort faible performance de nos préparations aux CAPES » !
Suite de l’entretien : le PRES Sorbonne Universités. A suivre.
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