Enfin ! La “Grande Presse” s’intéresse au sort désastreux des bacheliers professionnels qui poursuivent des études supérieures. L’éditorial du Monde du 28 septembre 2012 est intitulé “La triste histoire des bacs professionnels“. “Les bacheliers professionnels, ces déboutés des filières courtes, s’inscrivent à l’université, dans des filières longues classiques (en lettres, en histoire, en droit, etc.), dans lesquelles ils se retrouvent désarmés, égarés dans des formations plus complexes et conceptuelles auxquelles ils ne sont pas préparés, et bientôt en échec pour la grande majorité d’entre eux. Et ce quels que soient les efforts de bien des équipes universitaires pour tenter de les remettre à flot”. Le Monde publie également un reportage réalisé à Cergy : “la réussite des bacs pros : une gageure pour l’université“.
La catastrophe était pourtant annoncée. Plusieurs changements ou absence de changements des années récentes concourent en effet à cette crise aiguë. Le raccourcissement de la préparation du bac pro (3 ans au lieu de 4), réalisé en partie pour faire des économies budgétaires), a renforcé l’attractivité de ce baccalauréat au dépens du baccalauréat technologique. La réforme a également visé une progression de la poursuite d’études des bacheliers professionnels dans le supérieur : elle a atteint son but. La poursuite d’études logique pour ces bacheliers est l’entrée dans une section de technicien supérieur (STS) : elle est confirmée chaque année par les vœux formulés dans Admission post-bac. Dans le même temps, ces sections ont subi les conséquences de la suppression d’un poste sur deux départs à la retraite, ce qui rendait et rend impossible la progression de leur capacité d’accueil ; il aurait fallu à l’inverse augmenter le nombre de places offertes (chronique du 18 avril 2011 : “il manque 250.000 places en BTS“).
Et il est arrivé ce qui devait arriver : les STS étant sélectives (ne parlons pas des IUT qui ne recrutent des bacs pros qu’avec une grande parcimonie), les bacheliers professionnels sont entrés et entrent de plus en plus à l’université, seule filière ouverte, et y sont massacrés. Chroniques du 15 juillet 2011 – “davantage de bacs pros à l’université” – et du 25 juin 2012 – “55.000 bacheliers professionnels envoyés au massacre“. Que faire ?
Plusieurs solutions claires sont théoriquement possibles. Introduire la sélection à l’entrée de l’université. Supprimer la sélection à l’entrée des STS et des IUT. Interdire l’accès des STS et des IUT aux bacheliers généraux. Créer pour les bacheliers professionnels un quota de places dans les deux filières BTS et DUT. Ne rien faire et continuer à fermer les yeux. C’est cette dernière voie qui va être suivie parce qu’elle arrange presque tout le monde et même les principaux concernés. Les STS continueront à bien fonctionner. Les régions et l’État ne devront pas débourser d’argent pour créer des places supplémentaires et des postes d’enseignants. Les universités ne seront pas mécontentes car elles vont cette année encaisser, pour le surplus de bacs pros qu’elles inscrivent, plus de 300 millions d’euros. Pôle Emploi préfère que les bacheliers professionnels soient en études plutôt qu’en recherche d’emploi. Le pari de ne rien faire est pourtant fort risqué : la révolte des bacs pros et celle des enseignants désemparés par eux n’est pas impossible.
Revenons aux différentes solutions, à ceux qui les préconisent ou les rejettent. 1. Instaurer la sélection à l’entrée de l’université. Les partisans de la sélection à l’entrée de la licence universitaire ne sont pas prêts de l’emporter ! Chronique : “Assises et réussite des étudiants“.
2. Supprimer la sélection à l’entrée des STS et des IUT. Personne n’y avait pensé jusqu’à présent, tant une telle solution serait politiquement et matériellement inapplicable. Un nouveau président la prône pourtant. “Gilles Roussel estime qu’il faut aller plus loin : “repenser le cycle licence et supprimer la sélection en STS et en IUT”. Gilles Roussel est président de l’université Paris-Est Marne-la-Vallée et, à la CPU, président de la Commission formation et insertion professionnelle. Je ne peux croire qu’un président puisse, dans le contexte présent, tenir de tels propos. Il doit ou la CPU doit publier un communiqué pour dire que ces propos incendiaires n’ont pas été tenus devant le journaliste du Monde.
3. Interdire l’accès des bacheliers généraux aux filières professionnelles courtes. Je ne connais personne qui oserait défendre vraiment cette solution politiquement incendiaire.
4. Créer des quotas de places dans les STS et les IUT pour les bacheliers professionnels. Cette solution ne serait que fort partielle, tant il manque de places pour eux ! Elle a pourtant ses partisans et ses détracteurs. François Hollande en semblait partisan. Geneviève Fioraso ne l’est pas : “beaucoup d’universités déploient des trésors d’imagination pour accueillir au mieux ces bacheliers. La ministre met également l’accent sur ce point, souhaitant améliorer l’accompagnement en licence : nouvelles pratiques pédagogiques, accompagnement individualisé, moins de cours en amphi” (Le Monde du 28 septembre 2012)… Rêve irréaliste dans le contexte de crise financière des universités.
Le Conseil économique, social et environnemental n’est pas non plus favorable aux quotas. Dans son avis du 25 septembre 2012 sur la démocratisation de l’enseignement supérieur, le CESE “considère qu’une régulation a priori de l’accueil des étudiants entre les différentes voies ne peut constituer qu’une fausse solution qui irait en fait à l’encontre de l’objectif de démocratisation de l’enseignement supérieur. Il privilégie, afin d’impulser un véritable mouvement de réussite, deux orientations principales : d’une part, favoriser un meilleur équilibre entre les différents profils de bacheliers, dans les recrutements des structures d’enseignement technique et professionnel (IUT et STS notamment); d’autre part, apporter aux étudiants inscrits en première année de licence un soutien et un accompagnement leur permettant de réellement réussir un parcours à l’université“.
Je reconnais que la création progressive des Instituts d’enseignement superieur, projet porté par ce blog, ne peut être instantanée et donc n’apporte pas de solution de court terme. Je n’en vois qu’une pour éviter l’hécatombe des bacheliers professionnels dans l’université : celle de la désinscription immédiate des bacheliers déjà inscrits, en échange d’un capital financier de 45.000 euros (3 ans d’études supérieures de licence dans de bonnes conditions), capital attribué et garanti par l’Etat mais mobilisable seulement à terme, après un minimum de trois années d’expérience professionnelle.
Ces bacheliers ont une compétence professionnelle, ils doivent la bonifier sur le marché du travail et y parfaire leur projet professionnel. Certes, ils ne vont pas facilement trouver un emploi, mais c’est mieux de travailler à rechercher réellement un emploi que de perdre son temps et sa fierté en échouant à l’université. Débattre !
Strasbourg, BTS au lycée Le Corbusier. Photo de février 2012
Bonjour,
Juste deux petites remarques:
Enlever les quotas en IUT/BTS pourquoi pas, mais il va falloir recruter beaucoup d’enseignants et agrandir les immeubles. Par exemple,dans mon cas, nous avons 56 places pour 1500 demandes. Cela reviendrait à multiplier par 20 la taille du département. Sachant que le coût d’un étudiant en DUT est supérieur à celui d’un étudiant en fac classique, ce n’est pas dans l’air du temps.
Sur les quotas, en tout honnêteté, nous avons tenté de le faire et c’est la catastrophe car le programme de DUT est basé sur des connaissances universitaires, donc en statistiques par exemple, les notes sont trés basses. Pourtant nous avions recruté des étudiants à 16 de moyenne générale en bac pro.
De manière plus globale, le vrai débat qui se pose est celui de l’écart croissant que nous constatons entre le niveau en terminale et celui requis en première année de DUT et de fac. Cet écart s’accroît d’année en année. Nous devons bien évidemment nous adapter, mais il y a un point que nous ne pourrons dépasser.
Message envoyé par Samuel Bliman, contributeur assidu de ce blog
Voici quelques temps, j’avais commis de vous mettre quelques mots sur ce que je pensais des problèmes « Bac Pro ». Et bien, nous y sommes ; aujourd’hui un édito et un article du « Monde » à paraitre ce jour aborde enfin la question.!
Ce que je vous écrivais, je le maintiens totalement: les cycles de formation qui conduisent au « bac pro » ont été et sont restés les
PAUVRES de l’enseignement: un lycée pro coûte beaucoup plus cher à installer et à équiper avec en plus, pour rester « à jour » au plan technique et technologique la nécessité de reconfigurer les ateliers machines, electricité, électronique,etc… et cela, j’ose affirmer qu’aucun gouvernement n’a jamais consenti à ces dépenses (j’ai vécu au début des années 60 le cas du lycée pro de Clichy et le cas de la section pro de l’établissement qui deviendra plus tard l’ENREA). Sans évoquer , ici, la question des « Formateurs-Enseignants » dont il faut s’assurer , par la formation continue la mise à jour des savoirs à enseigner.
Deuxième point: lorsqu’un enfant arrivé en fin de 5ème au collège se voit
proposer la réorientation vers les formations pro: CAP puis autrefois le B.P., maintenant éventuellement le Bac Pro, outre le fait que les familles vivent cela comme une « punition », les élèves se trouvent « embarqués » dans une orientation les menant à une « impasse ». Pourquoi? simplement parce que leur font défaut la maitrise du Français (trés souvent) et disons du « calcul » ; et parchemin en poche, l’impasse prend un tour « dramatique » car où aller? sections de Technicien supérieur sélectives trés peu y sont admis, IUT sélection sévère peu y sont admis, ces deux filières sont de plus en plus « envahies » par des bacheliers « S »(remarquons ici que nombre de ces bacheliers « S » savent ou bien ont appris à « négocier » leur admission dans le post secondaire; reste pour les « Bac Pros » l’université …. mais comment s’orienter dans ce dédale qui leur est incompréhensible ainsi qu’à leur famille; divers conseillers sollicités ne les éclairent guère. Au final, ils aboutissent, triste fin, à l’université en première année dans des formations dans lesquelles leur échec est garanti.
Pour mémoire, rappelons qu’au début des années 1990 avaient été créés, dans certaines universités des « DEUG Technologies Industrielles » dans lesquelles des enseignements déstinés à ces « Bac Pro » les remettaient en piste! Mais baliverne que cela , ces formations ont disparu sous le rythme des réformes! En 1994, avaient même été créées en certains établissements avant la lettre des « Licences Professionnelles » voire même des cycles Licence -Maitrise de « Maintenance Industrielle ». Dans ces filières , le « Bac Pro » n’était pas conduit à la désespérance. Mais cela a été balayé par le vent de réformes, à répétition.
Au terme de tout cela que reste-t-il? Pour le plus grand nombre l’impasse, l’échec…. mais cyniquement, pendant un an ou deux, ces jeunes gens n’émargent pas aux statistiques du chômage.
Quel bel optimisme! Aucune solution n’est possible politiquement.
La solution préconisée par le CESE de renoncer aux quotas et d’apporter un soutien aux bacs pro à l’université pour les aider à « réussir leur parcours » est d’une totale hypocrisie. Même avec de gros efforts, passer de 0% de réussite à 2% de réussite peut-il constituer une solution ?
Les vraies solutions sont soit d’interdire aux BTS et IUT de sélectionner, soit de créer des quotas faisant place aux bacs pro dans ces formations.
Il y a assez de facteurs conduisant à l’abaissement du niveau en licence pour ne pas donner comme objectif aux universités de « faire réussir » une licence en lettres à une candidate qui avoue n’aimer rien lire à part « Closer » (cf. art. du Monde).
Il faut apporter une solution aux bacs pro, mais sans détruire les premiers cycles universitaires.
Cela demande effectivement un peu de courage.
En campagne on dit que d’un âne on n’en fait pas un cheval de course…à méditer!
FL
Bravo pour ce blog. La non-sélection en licence est un non-sens, car la seule issue de ce premier cycle est de poursuivre en master. Autrement dit un bachelier qui entre en licence entre en réalité dans un cycle de 5 ans, très difficile. Il faut orienter les bacs pros vers les IUT ou BTS, dans lesquels il reste des places. On peut imaginer des cursus de 3 ans au lieu de 2 pour les étudiants issus des bacs pros. Et qu’on ne parle pas du coût des formations, car une formation à 0% de réussite a un coût infini!
Rebonjour à tous,
Il faut revoir aussi les objectifs que vous fixez au bac pro. L’objectif de base est l’insertion professionnelle et nous dissertons sur leurs poursuites d’études, en expliquant qu’il faut qu’ils aient un DUT ou un BTS, ce qui est un peu contradictoire.
Le fait est :
– les bacs pros sont actuellement une voie de non choix pour la plupart des étudiants. Ils attérissent (pour la plupart) dans ces formations car ils ne suivent pas au collège ou au lycée.
– Le taux de réussite au bac (et pas que bac pro) se doit politiquement d’être maintenu autour de 80%, on adapte donc le niveau aux élèves et non l’inverse.
– On demande alors au supérieur d’accueillir des étudiants qui ont un niveau totalement décalé par rapport au niveau universitaire. Certains étudiants qui ont suivi des parcours classiques (ES, S, L) ou technologiques ont beaucoup de mal à suivre en DUT.
La solution proposée consistera à mettre en situation d’échec les étudiants. Nous n’avons pas attendu le ministère pour tenter les expériences. En DUT (secondaire ou tertiaire), nous en avons encore parlé hier soir en conseil d’administration, à chaque fois cela a donné un échec. Le niveau de terminale est trop décalé sur les matières théoriques du niveau en DUT. Le DUT est un diplôme universitaire et depuis 2005, nous devons aussi bien former à l’insertion professionnelle qu’à la poursuite d’études.
Par exemple, en DUT TC, deux langues vont désormais être obligatoires. Beaucoup de bac pro n’en proposé qu’une. Comment fait-on? On fait des cours d’initiation pour cinq à dix étudiants avec budget en baisse de 20% cette année?
Je sais que ça peut paraître simple vu de loin, mais je peux vous dire que sur le terrain c’est beaucoup plus compliqué à gérer même avec de la bonne volonté.
Au risque de m’attirer les foudres de certains, les bacs pros comme leur nom l’indique devraient conduire directement sur le marché du travail. A l’origine, ils offraient un complément aux cap ou bep et offrent en théorie (référentiels) des postes plus élèvés que ceux de bep, cap (ex: employé de grande surface pour niveau bep-cap, vendeur spécialisé pour bep-cap).Et le risque est qu’à terme, si tous les bacs pros continuent, c’est que ces emplois qui correspondent à ce niveau de formation se retrouvent en manque de personnel ou avec du personnel bac +2, +3 si on augmente les places dans le supérieur (BTS,DUT) pour répondre à la demande des bacs pros. De plus, ce sont les bacs technos qui ont pour vocation première de conduire à des études supérieures courtes. Et, comme il est indiqué dans l’article du Monde, les bacs pros manquent de certaines qualités pour pouvoir poursuivre des études supérieures. D’ailleurs, le taux de réussite en BTS-DUT reste important et les démissions sont nombreuses. La voie professionnelle devrait donc être une voie pour entrer directement dans la vie active, sauf exceptions pour les très bons élèves (plus de 14-15 de moyenne) qui ont une chance de réussir.