Croire aux Ecoles du Professorat

Le blog accueille une chronique de Pierre Arnoux, en réponse au texte d’Annie Duprat, publié sur ce blog le 22 février : « Espé : création à la hussarde« . Pierre Arnoux, professeur de mathématiques à l’université d’Aix-Marseille, m’a également fait parvenir une proposition de la Commission française pour l’enseignement des mathématiques (CFEM), concernant le mémoire de Master MEEF, parcours de mathématiques. Lire les chroniques du blog sur les Espé.

« J’ai lu avec intérêt le texte d’Annie Duprat que tu as publié dans ton blog. Je suis en profond désaccord avec ce texte qui contient un bon nombre d’approximations, voire de contre-vérités.

« Aucun aspect universitaire dans ces futures ESPE » : c’est faux, chaque ESPE est intégrée dans une université (même si le choix de cette université peut faire problème, à Paris par exemple). Nous avons d’ailleurs eu confirmation que tout universitaire, y compris membre d’une UFR, qui fait une partie de son service dans les masters gérés par les ESPE est électeur de l’ESPE, même s’il est membre d’une autre université. Il semble qu’au départ, les ESPE devaient être une école professionnelle de l’éducation nationale, sur le modèle de l’école de la magistrature ; la ministre de l’enseignement supérieur a obtenu que ce soit en université, à nous de nous en montrer digne ».

« Elles ne seront pas des composantes des universités » : c’est faux, je le sais pour mon université, qui est en train de préparer le dossier d’accréditation de l’ESPE. De ce point de vue, les ESPE prendront bien la suite des IUFM, dont elles absorberont les personnels.

« Les concours sont très allégés » : je ne vois aucun argument qui permette de dire cela. Les concours n’ont pas été alourdis avec la mastérisation, et ils ne seront pas allégés dans la nouvelle formule, qui reste très proche de la précédente ; de toute façon, nous savons que la difficulté d’un concours se mesure d’abord à son taux de sélection, qui est assez indépendant de sa place dans le cursus. De plus, la nature des épreuves sera largement déterminée par le jury, comme dans les années précédentes.

« La professionnalisation n’est pas assurée, les stages en établissements n’étant pas obligatoires » : c’est dans la forme actuelle que la professionnalisation n’est pas assurée, avec 4 semaines de stage au mieux! Il est clair que la nouvelle formule, avec un stage à mi-temps sur un an, sera bien plus professionnalisante (certains craignent qu’elle ne le soit trop). Dans le master que nous mettons en place, le stage sera obligatoire, avec 20 ou 30 crédits ECTS, et ce devrait être le cas pour tout master accrédité. Je ne vois pas comment on pourrait avoir son diplôme sans avoir fait de stage, et si c’était le cas, un tel étudiant ne serait pas titularisé comme professeur.

Ce qui pourrait expliquer cette réaction, c’est qu’Annie Duprat imagine peut-être un master où tous les étudiants sont pris en M2. Dans mon université, je vais plaider pour une entrée en M2 fortement sélective : seront pris en M2, d’une part les étudiants reçus au CAPES en fin de M1 (ils auront donc forcément un stage, et un poste correspondant, quitte peut-être à devoir changer d’académie, et ils seront fortement incités à prendre ce poste, sinon ils perdront leur emploi), d’autre part les étudiants présentant un projet professionnel cohérent avec possibilité de stage en dehors de l’éducation nationale (médiation scientifique, formation des adultes…). Les étudiants de M1 qui auront raté le CAPES et voudront recommencer seront autorisés à se réinscrire en préparation aux concours. Nous ne formerons donc pas une armée de vacataires. Reste à savoir quelles seront les universités qui auront le courage de faire cela.

« Les étudiants aisés ou habitant des académies où on ne pourra pas les accueillir ne feront pas ce stage« : je ne vois pas d’où vient cette crainte bizarre, que je n’ai jamais vue jusqu’ici. Un étudiant qui n’a pas fait de stage perd simplement son emploi; et il est bien évident que tous les étudiants seront accueillis, puisqu’on aura réservé les postes pour cela.

« On fait donc semblant de considérer que le niveau de formation a été augmenté grâce à la mastérisation » : ceci ne concerne pas la réforme actuelle, mais le désastre dont nous sortons.

« Personne n’avoue qu’un volet fondamental est abandonné : la recherche, sans laquelle il n’est aucune construction de savoir. Les futurs enseignants ne peuvent répéter des connaissances disciplinaires acquises par simple mémorisation, sans appropriation profonde» : je ne vois pas ce qui a été abandonné. Il n’y a jamais eu de recherche dans la formation des enseignants. C’est le type de formule creuse dont se gargarisent un bon nombre de formateurs, au lieu de réellement mettre en place une formation par la recherche, comme nous allons le tenter. Quand au cliché de la connaissance acquise par mémorisation, il commence à être usé, et il faudrait trouver autre chose. Il n’y a pas de contradiction entre la mémorisation et la compréhension, au contraire.

La réforme de mastérisation voulue par Sarkozy, et dont le seul but était de supprimer les postes correspondant aux stagiaires, a été un échec total, dont la chute des inscriptions aux concours est le symptôme le plus criant. Il faut maintenant renflouer ce naufrage : c’est forcément coûteux et pénible; et comme il y a plusieurs options, on est sûr de faire des mécontents. Mais peut-être pourrait-on parfois faire un tout petit peu de crédit au ministre? Je ne pense pas que Vincent Peillon soit totalement indifférent au sort de l’éducation nationale, et attaché à détruire la recherche, et les universités, IUFM compris, ne sont pas complètement sans reproche dans ces affaires. On pourrait donc, au lieu de se mettre sans arrêt à crier au loup, tenter de faire marcher cette réforme en lui évitant quelques écueils évidents. C’est en tout cas la direction que j’essaie de prendre.

7 Commentaires

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7 réponses à “Croire aux Ecoles du Professorat

  1. Duprat Annie

    Personnellement, cher collègue, je suis ravie de tout ce que vous écrivez. Ce qui se passe dans l’académie d’Aix-Marseille est donc un modèle pour les autres. Moi, je regarde ce qui se passe dans l’académie de Versailles et je suis les compte-rendus des collègues des autres ex-IUFM lorsqu’ils ont obtenu un rendez-vous auprès de leur recteur.
    1/ « Composante » d’une seule Univ, c’est ce que nous sommes. « Service commun » au niveau académique, c’est ce que souhaitent les universités non-intégratrices.
    Quant au sort des personnels, il varie selon les académies, en l’absence de cadrage national. Sans doute à Aix avez-vous eu de bons négociateurs.
    2/ « Concours allégés » en histoire-géo, de 8 questions à l’écrit ont est passé en 2009 à 6 questions et de 3 oraux, ont est passé à 2. J’appelle ça « allégé ». Ce n’est pas forcément mauvais mais on ne peut pas dire que c’est faux.
    3/ « Stages » les maquettes de master sont aujourd’hui la responsabilité de ceux qui les ont mises au point: en HG à Cergy, 3 semaines d’observation en M1 et 5 semaines en responsabilité en M2 (sans compter ce qui se fait dès le L2. Stage ensuite comme fonctionnaire stagiaire: décharge et formation au gré des ministres successifs.
    Ce qui est prévu et annoncé: M2 6h – voire 9h dans notre académie déficitaire – d’enseignement par semaine, payés mi-temps. Cela ressemble donc au PLC2 d’une époque révolue (mais eux étaient payés plein temps). Mais il faut examiner le cas des académies lourdement déficitaires comme Créteil ou Versailles et des autres, qui peuvent ne pas avoir d’heures à proposer aux stagiaires (vous mentionnez des « postes réservé » pour ce faire, il faut bloquer des postes ce qui bloque aussi les mutations des collègues déjà titulaires). A l’heure actuelle, je n’invente pas des propos tenus à la direction de l’ex-IUFM Versailles, l’obligation de faire ce stage n’est pas encore actée dans la loi et les étudiants risquent de ne pas vouloir s’installer en région parisienne avec 1/2 salaire (j’ai le souvenir de ceux qui, avec salaire complet, étaient réduits à dormir sous des tentes dans le parc du site IUFM d’Antony. Certains viennent de très loin (des milliers de km car ne pas oublier les DOM).
    « Les étudiants aisés etc… » moi, j’ai entendu cela et j’ai eu des discussions sur cette question. C’est un problème majeur, que le gvt ne pourra pas régler seulement avec des mots, fussent-ils encourageants.
    4/ Sur entrée en M2: il est bien évident que seuls ceux qui auront validé leur M1 et réussi le capes y seront autorisés. Nous avons, comme tout le monde, créé une ligne d’inscription « prépa capes ». D’autres l’ont appelé DU. Et nous n’avons pas considéré que c’était du courage, mais simplement du bon sens et la nécessité de faire face à la situation induite.
    5/ « la recherche » en capes HG, nous avions créé un véritable enseignement à et par la recherche en M1, que nous avons dû annuler en catastrophe lorsque l’annonce de la session de juin 2013, faite en septembre 2012, a été faite. Dans le futur capes HG, plus aucune épreuve d’épistémologie ni d’historiographie n’apparaît. Nous avons adressé aux deux ministres une pétition, avec les presque 1200 signataires:
    http://aggiornamento.hypotheses.org/1234
    6/ Le recrutement des futurs enseignants est une affaire assez sérieuse pour que l’on prenne quelques semaines de plus pour y réfléchir. Je ne « crie pas au loup »,j’ai beaucoup d’estime pour V. Peillon, j’essaie de comprendre ce qui se passe est qui diffère beaucoup d’un territoire à l’autre. Avec mes collègues, nous tentons de voir tous les problèmes soulevés par cette nouvelle réforme précipitée, tout comme la précédente.
    Bien cordialement
    A.Duprat

  2. Clément Céline

    C’est un vrai problème que de sélectionner les étudiants en M2 à partir des résultats au concours. Tous les étudiants inscrits dans les masters MEF n’ont pas vocation à devenir PE (pour ce qui me concerne). Ainsi nous avons des étudiants étrangers qui veulent avoir un diplôme pour exercer dans leur pays d’origine et qui de toutes façons ne peuvent pas prétendre passer les concours (c’est aussi le cas en PLP particulièrement). De plus nous avons des PE actuels qui sont inscrits directement en M2 et qui n’ont pas eu le concours (!)…. On devrait donc désormais les refuser?
    Finalement c’est se plier une nouvelle fois à « l’employeur ».
    La réforme précédente avec ses (gros) défauts avait permis une relative distanciation et ainsi permis la constitution de parcours originaux (p.ex. dans le champ de l’enseignement aux élèves à besoins éducatifs particuliers) où les titulaires du master ont pu être recrutés sans le concours dans des structures demandant les compétences acquises par nos étudiants (et pas les plus faibles, loin s’en faut).
    Par ailleurs, je me demande ce qu’on pourra faire des recalés au concours de CPE qui sont la grande majorité de nos promos (sachant par ailleurs que les masters sont évalués sur l’employabilité des étudiants après l’obtention de leur diplôme) si ils ne peuvent pas poursuivre en M2….

  3. J’aimerais pouvoir partager le bel optimisme de Pierre Arnoux mais je crains que la réalité ne soit beaucoup moins idyllique qu’il n’imagine.

    Commençons par les maquettes de CAPES. Est-ce que la protestation unanime des associations professionnelles et des sociétés savantes lui a échappé ? Méconnait-t-il que la part des contenus disciplinaires du concours devrait être désormais de 1/6 ? Ignore-t-il la raison qui en est donnée en haut lieu ? Selon la nouvelle doxa, pas si nouvelle que ça, le concours ne doit plus mesurer que des compétences professionnelles tandis que la partie disciplinaire est dévolue au master…

    Comment se fait-il alors que ce master soit un master professionnel dont la première année est consacrée à un concours entièrement professionnalisé tandis que la deuxième est occupée par l’année de stage professionnel ? Il y a là un profond mystère que M. Filâtre et ses amis du SGNEN, de la CDIUFM et des UFR de sciences de l’éducation devraient expliquer. Quant à Pierre Arnoux, il devrait, lui, comprendre que dans ces conditions, le master ne peut se réduire à entériner les résultats du concours. Or c’est bien ce qu’il propose : pour passer en M2, il faut avoir réussi le concours ; quant au M2 il valide l’année de stage. Et quand est-ce qu’on vérifie alors que les néo-profs ne sont pas des ignorantins ? Sans compter que laisser le soin de décerner ou pas des diplômes à des jurys nationaux, présidés par des Inspecteurs généraux et composés pour l’essentiel par des enseignants du secondaire, c’est faire fi des prérogatives de l’université et même de la simple dignité des enseignants-chercheurs. On sait que ces derniers avalent beaucoup de couleuvres mais quand même…

    Il y a aussi le problème de ceux qui auraient échoué au concours et qui constituent bon an mal an la bagatelle de 80% des présents, soit près de 90% des inscrits. Le problème est moins aigu en ce moment du fait de la désaffection des étudiants, surtout en mathématiques, mais on peut espérer que les choses reviendront assez vite à leur étiage normal. Pierre Arnoux prétend qu’ils seront accueillis. Ce sera sans doute vrai au début et dans les disciplines les plus déficitaires. Mais qu’en sera-t-il dans 4 ou 5 ans ou, déjà, pour le concours des professeurs des écoles ? Qui pourra empêcher les ESPE, à cet égard simples réincarnations des IUFM, de revenir à cette fameuse « régulation des flux » qui priva naguère de préparation 80% des candidats et les obligea à avoir recours au secteur privé ?

    Il y a enfin le point que tous oublient depuis les cabinets ministériels jusqu’aux « comités de pilotage » locaux en passant par ceux qui proposent leurs propres plans plus ou moins mirobolants pour réformer la réforme. Ce point essentiel est que ceux qui décident au final, ce sont les étudiants eux-mêmes et pas les prétendus « décideurs » adoubés par une quelconque technostructure. Or les étudiants ont déjà décidé. Dès le concours 2011 (An I de la mastérisation) 68,7% des lauréats du CAPES étaient titulaires d’un master-recherche ou d’un diplôme équivalent (décernés par les écoles d’ingénieurs par exemple) ou supérieur (doctorat). Ce mouvement ne peut que s’amplifier au fur et à mesure que, selon la logique du LMD, les vraies études universitaires commenceront en master. Dans ces conditions, de deux choses l’une : ou bien les ESPE accueillent en M1 d’enseignement les titulaires d’un master-recherche complet, ce qui serait particulièrement cocasse ; ou bien à peine sortis d’une de ces nouvelles licences polyvalentes au rabais, les candidats-ESPE seront laminés dans les concours, réduits en bouillie par leurs rivaux plus âgés, plus savants , plus mûrs, plus diplômés et pouvant consacrer une année entière à la préparation des épreuves. Ce sera alors la fin des ESPE : en attendant ce jour béni, qui verra la fin définitive des IUFM après l’acharnement thérapeutique dont ils font l’objet depuis si longtemps, c’est à ces choses-là qu’on devrait déjà réfléchir dans les UFR pour prendre le relais quand la faillite des réformes actuelles sera consommée. Ce qui peut arriver très, très vite.

    Pedro Cordoba

  4. Annie Duprat

    les commentaires de P. Arnoux, C. Clément et P. Cordoba présentent chacun des questions qui ne sont pas résolues et qui, à elles seules, auraient dû conduire le gouvernement à moins de précipitation.
    C. Clément a raison de souligner que n’accepter en M2 que les reçus aux concours, PE ou capes n’est pas une formule satisfaisante. Ecrivant cela, je me plaçais évidemment dans la perspective des Espé, écoles directement soumises à l’Education nationale, comme l’étaient les IUFM antérieurement. Ce ministère recrute des fonctionnaires.
    Pour permettre aux étudiants (étrangers ou français) d’obtenir un master sans concours, il faudrait que les masters MEF soient placés sous double sceau (Univ et Espé). Les conditions d’entrée y seraient donc déterminées de façon plus large, en tant que de besoin.
    Le projet de loi est en cours de discussion à l’AN. Si des députés avaient la bonne idée de lire ce blog avant de voter des articles d’une loi mal ficelée, ce serait très bien!
    Le problème est la cécité du Ministère de l’Education nationale qui, année après année, campe dans les mêmes positions idéologiques et la désinvolture du MESR qui ne voit toujours que par la recherche. Une lecture à méditer:
    http://understandingsociety.blogspot.fr/2013/03/decline-of-french-universities.html
    A. Duprat

  5. Pierre Arnoux

    J’ai lu avec beaucoup d’intérêt les commentaires cette chronique, et je vais tenter d’ajouter quelques remarques.

    Pour commencer, il faudrait rappeler que les meilleures métaphores à appliquer à la période récente sont celles de naufrage, de déraillement ou de sortie de route, suivant le type de véhicule auquel on assimile la formation des maîtres. On ne peut pas demander au ministre de remettre tout en ordre en un an. On ne peut simultanément lui reprocher de ne pas répondre à l’urgence, et d’agir dans la précipitation. Il est d’ailleurs ironique de voir se déployer contre le nouveau ministre des énergies critiques qui étaient bien plus endormies sous Chatel et Darcos, certainement plus proches des enseignants que Peillon…

    Il est par exemple vrai que les conditions des stagiaires de l’an prochain ne seront pas idéales : ils ne seront payés qu’à mi-temps, et ils devront attendre un an leur admission. On eût préféré autre chose. Mais il ne faudrait pas oublier, d’abord que ce n’est pas le dispositif prévu à terme, ensuite que Vincent Peillon a dû se battre sur deux fronts, et qu’il n’a pas dû être simple d’arracher ces mi-temps à Bercy! Tout le monde fait comme si les 60 000 postes qu’il est en train de créer, et, dont il a eu le courage de consacrer une part significative à la formation des maîtres, ainsi que les 18 000 emplois d’avenir qu’il a obtenus, devaient être considérés comme du passé, et qu’il ne fallait plus se concentrer que sur ce qui n’a pas été obtenu (j’exempte ici Pedro Cordoba, qui saura nous expliquer en réponse pourquoi ces 60 000 postes sont inutiles, et ne seront pas pourvus, et pourquoi ces 18 000 EAP seront encore plus nocifs que les IPES l’ont été en leur temps). Si on voulait convaincre les politiques qu’il ne faut acter que les reculs, qui seront bientôt oubliés, et garder les avancées comme des carottes pour des temps meilleurs sans jamais les mettre en oeuvre, on ne s’y prendrait pas autrement.

    On peut comprendre l’amère et confortable déploration de Pedro Cordoba, qui nous explique que la fin des temps universitaires est proche. Quelle que soit la proposition qui est faite, il nous explique avec de multiples arguments pourquoi ça ne va pas marcher (des arguments parfois tendancieux: il n’est pas vrai que la protestation des sociétés savantes soit unanime, il le sait fort bien). J’enseigne à tous les niveaux du L1 au M2, et je pourrais ajouter de nombreux arguments à son beau constat désespéré; mais il se trouve que je n’ai pas envie qu’on m’explique pourquoi ça va rater (je le sais), j’ai envie qu’on me dise comment on peut le faire marcher, ce qui est plus délicat. Parce que, bien ou mal, ça va marcher : on formera des profs, on les recrutera, et on les mettra dans des classes pour former les classes d’âge de 800 000 élèves qui nous arrivent chaque année. Si les universitaires arrivent à convaincre le ministre qu’ils sont inaptes à cette tâche, et qu’il ne désirent pas s’en charger, le ministère en chargera d’autres, dans une école professionnelle indépendante des universités, comme c’était peut-être au départ l’idée de Vincent Peillon. J’imagine que cette catastrophe finale (pour les universités, peut-être pas pour le reste de la société qui pourrait bien y survivre) ravira Pedro Cordoba.

    Je voudrais dire à Céline Clément de lire exactement ce que j’ai écrit : contrairement à Annie Duprat, qui semble d’ailleurs revenir sur sa formulation dans son deuxième commentaire, je n’ai pas proposé de n’accepter en M2 que les reçus au concours. J’ai dit que je proposerai que l’on ne prenne en M2 que les reçus au concours ET ceux qui proposent un projet professionnel sérieux, présentant une possibilité de stage, dans un autre domaine. Il me semble que cela répond exactement à sa remarque. Les masters MEEF seront des diplômes professionnels, conduisant à des métiers qualifiés, et assez comparables aux DESS d’autrefois; il me semble normal de leur appliquer le même type de logique: la capacité d’accueil de la formation doit être proportionné aux possibilités d’emplois. Ceux (dont je suis) qui protestaient parce que les masters allaient former une armée de réserve de vacataires taillables et corvéables à merci peuvent difficilement proposer autre chose. Il y a bien sûr d’autres issues que le CAPES : mais il faut pouvoir les montrer, et concevoir des projets professionnels qui tiennent la route.

    Pour répondre à Annie Duprat, je rappelle que les ESPE seront des composantes des universités, et qu’il nous revient de mettre en oeuvre les masters MEEF, qui seront placés dans les EPSE, mais assurés conjointement par les ESPE et les UFR. A nous de créer des maquettes qui correspondent à nos exigences, et qui répondent aussi aux nécessités de la formation.

    Dans la même logique, il ne me semble pas aberrant que l’employeur, et par exemple le ministère de l’éducation nationale, qui fournira les stages et paiera les stagiaires, puisse avoir son mot à dire (pas forcément le dernier) sur la formation, au moins en ce qui concerne les lauréats du CAPES. Mais j’imagine que le fameux slogan « enseignant, un métier qui s’apprend » qui marchait en tête de toutes les formations il y a 3 ans donne des boutons à Pedro Cordoba…

    Je ne sais pas si c’est un modèle, mais il est possible que le cas de l’ESPE de l’académie d’Aix-Marseille soit relativement rare; le fait que l’université de rattachement n’ait fait aucun doute dès le début a peut-être éliminé des conflits potentiels, et incité les acteurs à faire des propositions plutôt que des refus sans concession. Cela me semble plus porteur à moyen terme, mais il est clair qu’un compromis forcément insatisfaisant sur certains points est moins esthétique qu’une belle explosion de points de vue inconciliables.

    Il est possible qu’il soit nécessaire de bloquer des postes pour les stages de master 2, et que cela freine le mouvement des titulaires. On peut, au contraire, donner priorité au mouvement des titulaires, et bizuter tous les stagiaires en les envoyant sur les postes en ZEP. Il ne faudra pas ensuite verser sur leur sort des larmes de crocodile; on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre…

    Un dernier point : quelle que soit l’envie que nous en ayons tous, je ne crois pas possible d’attendre encore un an pour mettre en place cette réforme, pour de multiples raisons. Nous savons d’ailleurs bien que, dans un an, si on nous donnait ce délai, nous ne serions pas beaucoup plus prêts. Ce qui est possible par contre, c’est de demander que les maquettes que nous allons faire dans l’urgence ne soient pas gravées dans le marbre, et que nous puissions l’an prochain rectifier les insuffisances qui apparaîtront certainement, sans attendre le renouvellement de l’accréditation ou du quadriennal (ou quinquennal, je ne sais plus). C’est une demande raisonnable, et je pense que nous interlocuteurs sont prêts à l’entendre.

  6. marianne

    Une précision pour lever tout malentendu: à la rentrée 2013, on va voir arriver dans les établissements

    – des fonctionnaires stagiaires, c’est-à-dire des admis au concours 2013, qui n’auront que 3h de décharge, ce qui veut dire une nouvelle « génération sacrifiée » en terme de formation (je précise, parce qu’à la rentrée 2012 le ministre a assuré aux stagiaires de Créteil qu’ils étaient la « dernière génération sacrifiée »….)

    – des contractuels trouvés parmi les admissibles aux concours 2014 anticipés, ces contractuels ne seront donc pas des stagiaires au sens statutaire du terme, ils auront à préparer leur M2 et leur admission tout en enseignant, et c’est seulement à la rentrée 2014 qu’ils deviendront fonctionnaires stagiaires (s’ils sont admis en juin 2014).

    Le problème c’est que les gens à qui sont demandés les efforts sont toujours les mêmes:
    – les stagiaires, envoyés au charbon, pour certains sans formation préalable et pour tous sans décharge suffisante: l’entrée dans le métier se fait donc toujours autant dans la douleur avec tous les dégâts que ça implique,

    – les admissibles 2014, qu’on laisse pendant un an « en attente », alors qu’il faut bien qu’ils mangent – c’est d’ailleurs là-dessus qu’on compte, pour qu’ils acceptent d’être contractuels-bouche trou, c’est-à-dire qu’ils aillent au charbon sans formation préalable , et dans des conditions de rémunération qui risquent fort de déroger à la réglementation des contractuels (de déroger, pas dans le bon sens, bien sûr….)

    – et les profs titulaires en place, puisque le blocage de postes et de blocs horaires pour y affecter stagiaires et contractuels va anéantir leurs chances de mutation, pourtant déjà très limitées depuis la disparition du mouvement national – or muter est pour eux la seule possibilité de « respiration » en l’absence de toute amélioration des conditions de travail et de toute revalorisation salariale.

    Pendant que les stagiaires, les admissibles et les titulaires continuent à « prendre sur eux » après avoir encaissé des années de démolition sarkozyste qui les a mis dans un état d’usure avancé, eh bien le ministère ne finance pas l’effort demandé aux facs pour préparer les candidats au concours supplémentaire 2014, ne verse aucune aide financière aux candidats au 2014 et n’a rétabli les aides aux candidats 2013 que sous la pression et en reconduisant à l’identique le dispositif de Chatel, compte trouver des milliers de tuteurs en les payant au lance-pierres et en ne leur donnant aucune décharge, refuse de prérecruter et prétend que les contrats aidés EAP peuvent tenir lieu de prérecrutements, etc…. Même des choses qui ne coûteraient rien, par exemple s’y prendre autrement sur les mutations, il ne les fait pas.

    Donc il y a un problème d’équilibre des efforts demandés: si l’Etat ne fait pas d’effort réel, ça ne peut pas marcher.
    Il y a un problème d’efficacité: les EAP ne peuvent pas sécuriser les 150 000 recrutements futurs parce qu’ils ne comportent pas d’engagement à enseigner après le concours – et ils ne peuvent pas en comporter, parce que ce sont des contrats de droit privé.
    Et il y a un problème de qualité de la formation: afficher des postes aux concours en laissant les candidats se préparer seuls avec les moyens du bord tout en courant toujours autant après les petits boulots, ça ne dégage pas le temps pour étudier (ni la discipline de concours, ni sa didactique, ni son histoire, ni les sciences de l’éduc, ni rien).

    Pourtant il y aurait des solutions alternatives à discuter – mais pour ça il faudrait jouer cartes sur table, notamment en publiant les statistiques détaillées par discipline, sur les départs en retraite, les viviers, les potentiels universitaires…. toutes données qui restent obstinément sous le boisseau.
    Comment mettre en place des ESPE correspondant aux nécessités, sans état des lieux ni chiffrage des besoins à couvrir, on se le demande….

    Si on veut que ça marche – et personne ne peut se permettre que ça ne marche pas -, il faut ECOUTER ce que les praticiens et les « corps intermédiaires » représentatifs ont à proposer.

  7. Justine

    Bonjour,
    J’ai obtenu récemment ma Licence 3 de Lettres Modernes et j’hésite encore beaucoup concernant le Master à suivre à la prochaine rentrée universitaire. Malgré les quelques réunions d’information et certains avis de mes professeurs,les réponses me semblent encore confuses et incertaines. Pourrai-je passer le concours du CAPES suite à un Master Recherche et après avoir tenté de passer l’agrégation? Est-ce que l’accès au CAPES sera plus difficile après un master Recherche?