La loi sur l’enseignement supérieur et la recherche (loi du 23 juillet 2013, dite loi ESR ou loi Fioraso) est une loi bavarde. Loi touche à tout, elle nécessite un très grand nombre de textes d’application. Ceux-ci sont actuellement soumis à « concertation ». Ils attaquent de front le service public d’enseignement supérieur. Conjugués à l’asphyxie financière des universités, ils vont les engluer dans un carcan bureaucratique de règles plus inutiles et stupides les unes que les autres, et ce au nom d’une autonomie assumée. 127 chroniques sur la loi ESR.
De qui se moque-t-on ? Regroupement des établissements à marche forcée : J’ai mal aux regroupements. Réforme du statut des enseignants-chercheurs : Le décret statutaire est contesté. Réforme du cadre national des formations et accréditation : J’en perds mon latin, L’accréditation, pièges à cons.
Un arrêté sur le doctorat est également en cours de préparation (95 chroniques sur le doctorat). Tiendra-t-il compte des propositions des Assises oubliées et des avis formulés par Émeric Bréhier, député de Seine-et-Marne (Parti socialiste, républicain et citoyen) ? Avis (10 et 24 octobre 2013), au nom de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation sur le projet de la loi de finances pour 2014. Son rapport consacre 25 pages à La France et ses doctorants.
Les propositions d’Émeric Bréhier. Une nécessaire protection juridique et sociale de l’expérience professionnelle qu’est la préparation d’un doctorat. Un financement « universel » des thèses qui suppose des arbitrages (inciter les acteurs publics, dans un contexte budgétaire contraint, à mieux réguler les « flux » de doctorants). Professionnalisation des doctorants : faire valoir l’intérêt des carrières dans le secteur privé et le secteur public hors recherche, Maintenir l’avantage fiscal lié au recrutement d’un docteur, Élargir l’accès à la haute fonction publique en particulier territoriale..
Extaits du rapport du député socialiste. Constats. Une situation financière et sociale trop souvent fragile. Malgré des éléments de régulation [conventions industrielles de formation par la recherche – CIFRE créées en 1981 -, écoles doctorales, charte des thèses, contrat doctoral], la situation des doctorants et des docteurs reste marquée par une très grande fragilité. Au final, celle-ci se traduit trop souvent par un véritable gâchis humain, les éléments les plus brillants d’une génération pouvant être, pour reprendre l’expression du Syndicat général de l’éducation nationale CFDT, « condamnés à être aigris« . Donnée statistique : âge moyen de recrutement des maîtres de conférences, selon la discipline d’enseignement et de recherche et le sexe (Note d’information d’août 2013, tableau 7) : 34 ans et 2 mois, le doctorat ayant été soutenu 3 ans et 2 mois auparavant.
Une politique de recherche qui jusqu’en 2012 alimentait la précarité. La politique menée par la précédente majorité a conduit à ce que les universités souffrent d’un « manque total de visibilité sur l’évolution pluriannuelle de leurs moyens », le système d’allocation des moyens restant très obscur, ainsi qu’à une « prolifération » des moyens extra budgétaires. En outre, la place prise par l’Agence nationale de la recherche (ANR), le principal instrument de financement des recherches fondamentales, appliquées et finalisées, a engendré de la précarité, en réduisant les moyens attribués par les universités aux laboratoires et, via ces derniers, aux doctorants. Cet « effet de précarité » trouve sa traduction dans l’évolution des « allocations doctorales » – allocations de recherche, puis contrats doctoraux – dont le stock décroît d’année en année.
Le poids des thèses non financées et ses effets pervers. Le monde des doctorants est « fracturé » entre ceux dont la thèse est financée et ceux qui ne bénéficient pas d’un tel financement, ces derniers représentant aujourd’hui près du tiers du total… Or, le non-financement d’une thèse a deux effets pervers… D’une part, celui-ci s’accompagne souvent de l’absence d’un contrat de travail, synonyme de précarité et d’aides par des proches ou de travail alimentaire…
D’autre part, ainsi que le souligne l’édition 2013 de L’État de l’emploi scientifique en France, l’obtention d’un financement de thèse a « un rôle prédominant sur l’accès à l’emploi, mais aussi sur l’accès à des fonctions de recherche » : en effet, les thèses sans financement « s’accompagnent généralement de difficultés plus élevées dans les années qui suivent l’obtention du doctorat ». C’est pourquoi on peut considérer que le doctorant en SHS subit une forme de « double peine », puisqu’il est moins financé et, de ce fait, moins assuré d’occuper, par la suite, un emploi stable…
Des diplômés exposés au chômage ou à l’emploi non permanent. Plus le diplôme est élevé, moins son titulaire est exposé au chômage. Ce théorème est étayé par d’innombrables rapports de l’OCDE, mais la France l’a fait mentir en ce qui concerne le doctorat… Depuis le début des années 2000, une « césure » s’est opérée pour le diplôme le plus élevé de la formation universitaire : alors qu’en 2007, les jeunes diplômés de niveau master avaient un taux de chômage de 7 %, celui des titulaires d’un doctorat culminait à 10 %.
Un diplôme culturellement déconsidéré. Alors que nos partenaires placent le doctorat ou le PhD au sommet de l’échelle des qualifications et peuvent l’exiger pour occuper les postes les plus élevés des grandes administrations et entreprises, la France se singularise par le fait qu’elle ne valorise pas ce diplôme… Ce choix, qui obéit à des facteurs culturels, nous isole dans le concert des élites mondiales.
Et rien n’est fait concrètement pour changer la donne, à savoir :
– revoir la place de l’agrégation dans l’enseignement secondaire et supérieur (et se poser la question de la supprimer)
– redéfinir les conditions de délivrance du doctorat en France par les établissements d’enseignement supérieur (le doctorat ne devrait être délivré que par les seules universités)
– permettre à un doctorant de pouvoir travailler et préparer une thèse avec mise en place d’aides spécifiques