« Une campagne de publicité fut entreprise sur ce projet de colonisation. Le ministre Choiseul avait promis d’énormes avantages aux Acadiens qui acceptaient de partir en Guyane. Il vantait les infrastructures, le climat agréable, les facilités de travailler la terre, les soldes durant deux ans, etc. Qui plus est, en mai 1780, la Compagnie de Guyane (propositions faites à Paris aux députés acadiens de Nantes pour l’établissement des familles acadiennes à la Guyane) promettait aux Acadiens de les regrouper par familles dans des villages ou paroisses desservies par des prêtres.
Malgré ces promesses alléchantes, la plupart des Acadiens, qui attendaient en France, se montrèrent réticents à ce projet, car ils craignaient d’avoir à endurer des températures trop élevées. Finalement, le ministre des Colonies réussit à convaincre quelque 600 Acadiens d’aller coloniser la Guyane; ceux-ci partirent pour les tropiques entre 1763 et 1765. Les Acadiens n’étaient pas seuls en Guyane. Il y avait aussi des Français, mais davantage d’Allemands, de Lorrains, d’Alsaciens et même des Maltais (l’île de Malte étant alors sous influence française), pour une population totale de Blancs atteignant 1500, ce qui rendait la population acadienne proportionnellement fort importante.
Puis, très rapidement, la France envoya des milliers de Français, de 10 000 à 15 000 résidents supplémentaires. Tous ces démunis s’installèrent sur le littoral à Iracoubo, à Sinnamary et à Kourou. Contrairement aux promesses des autorités, absolument rien n’avait été prévu pour accueillir un nombre aussi important de personnes en un si court laps de temps. Ces milliers d’immigrants demeurèrent sans vivres, sans médicaments ni soins, et furent laissés complètement à l’abandon.
Ne pouvant travailler sous un climat tropical, ils se contentèrent de consommer les provisions qu’ils avaient la chance de recevoir parfois. Le climat tropical insalubre et les épidémies décimèrent la moitié de tous ces nouveaux colons en l’espace de quelques mois, y compris les Acadiens, qui ne furent pas davantage épargnés. En 1767, sur les 15 000 immigrants au départ, environ 2000 survivants furent rapatriés en France, à l’île d’Aix et à Rochefort, dont peut-être 400 Acadiens qui s’embarquèrent aussitôt pour la Louisiane. Il ne resta qu’une poignée d’Acadiens en Guyane qui réussirent à faire leur vie à Sinnamary. Après cette pénible expérience qui n’avait en rien amélioré la gloire de Louis XV, le ministre Choiseul perdit tout espoir d’envoyer les Acadiens peupler d’autres colonies.
Quelques années plus tard, en 1772, on ne comptait plus qu’un millier de Blancs en Guyane pour une population de 8 500 esclaves noirs.
Le nombre de colons blancs demeura stable jusqu’à l’abolition de l’esclavage en 1848. Plus de 12 000 Noirs durent être affranchis ».
Partie 5. Guyane, 1763 : aller simple pour l’enfer. Source : Marine Dumeurger dans Géo, mars 2019.
« Inspiré par l’idéal des Lumières, le duc de Choiseul rêve, en 1763, de fonder une colonie blanche et libre en Guyane. Mais l’utopie du ministre de Louis XV tourne court et s’achèvera par une hécatombe.
L’humiliation est terrible. En 1763, la France sort de sept ans de conflit avec l’Angleterre. Elle vient de signer le traité de Paris et perd une bonne partie de son empire, notamment aux Caraïbes.Elle ne conserve que la Martinique, la Guadeloupe, Marie-Galante et Sainte-Lucie, alors que toutes les autres îles deviennent britanniques.
Un homme en particulier accepte mal cet échec : Etienne-François de Choiseul-Beaupré- Stainville, dit le duc de Choiseul. Le secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, à la Marine et aux Colonies de Louis XV n’a pourtant pas dit son dernier mot. Ce petit homme au physique ingrat possède un caractère bien trempé et une détermination politique hors du commun. S’il comprend qu’il ne pourra trouver une revanche sur le plan militaire, il imagine damer le pion aux Anglais sur un autre terrain : le peuplement.
Choiseul imagine alors une nouvelle colonie, libre d’esclaves… et imprégnée de l’esprit des Lumières, une brillante avant-garde, afin d’impressionner l’éternel ennemi. Très vite, comme le raconte la chercheuse Marion Godfroy dans son ouvrage Kourou, 1763. Le dernier rêve de l’Amérique française, le choix du ministre s’arrête sur la Guyane. Une terre difficile d’accès, peu peuplée et éloignée de la métropole (il faut presque deux mois pour la rejoindre en bateau).
On imagine la Guyane comme un petit paradis lointain, luxuriant, baigné de rivières et scintillant d’or, un pays plein d’inconnus et de promesses ».