A propos des examens en ligne et de l’égalité de traitement entre les candidats. Chroniques du blog sur l’adaptation des modalités de contrôle des connaissances durant le confinement.
Lettre ouverte de Gildas Loirand, enseignant-chercheur, à Madame Sylvie Retailleau, Présidente de l’Université Paris-Saclay, à la suite de la suspension du professeur Jean-Pierre Dubois au motif de graves manquements à ses obligations d’universitaire fonctionnaire (7 pages).
Extraits de la Lettre de 7 pages.
« Par une décision en date du 13 mai 2020, vous avez pris le parti de prononcer à titre conservatoire une suspension de toute activité professionnelle à l’encontre du Professeur Jean-Pierre Dubois, spécialiste de droit constitutionnel, au motif de graves manquements à ses obligations de fonctionnaire. Jean-Pierre Dubois, qui aurait proposé une épreuve simplifiée à ses étudiants et modifié frauduleusement les paramétrages informatiques d’une épreuve dématérialisée aurait alors de ce fait méconnu « l’obligation de préserver l’égalité entre les candidats, conformément à la législation en vigueur ». La faute disciplinaire reprochée au Professeur Jean-Pierre Dubois dans votre décision serait donc d’avoir organisé par ses pratiques potentiellement coupables une rupture d’égalité de traitement entre les candidats. Rien d’autre.
Il semble d’ailleurs que vous ayez fini par vous persuader vous-même de la faiblesse ou de la fragilité des charges retenues contre Jean-Pierre Dubois puisqu’on a appris, par suite du recours gracieux déposé devant vous par l’intéressé, que vous renonciez finalement à la mesure de suspension qui le visait. À moins que la pression syndicale et le bon millier de signatures recueillies en moins de deux heures par une pétition dédiée vous aient amenée à plus de mesure, pour ne pas dire ramenée à la raison.
Si je m’autorise à prendre parti dans cette sordide affaire, c’est que j’ai moi-même été suspendu de toutes mes fonctions d’enseignant-chercheur pour une durée de quatre mois, en mai 2018, pour des faits que j’ai contestés avec la plus grande vigueur et que je dois encore continuer de contester deux ans après les événements qui m’avaient valu les poursuites engagées par le président de mon université d’exercice. Dès lors, je peux me prévaloir d’une expérience toute personnelle et intime des effets délétères d’une suspension professionnelle tant sur le moral et la santé psychologique de celui qui en a fait l’objet que sur sa famille, ses proches, ses relations de travail habituelles, sa réputation et sur l’exercice même de son métier au quotidien…
… De ce florilège non exhaustif il ressort sans nul doute, comme il l’était clairement prévu et dénoncé par plusieurs enseignants-chercheurs, que l’organisation d’épreuves dématérialisées en ligne a par elle-même introduit et généralisé de manière inédite une immense rupture d’égalité entre les candidats. Sans reprendre l’ensemble des arguments largement développés ailleurs, il est certain qu’aucune épreuve en ligne n’a permis de garantir en quoi que ce soit l’égalité prescrite, quelles qu’en aient été les précautions techniques prises en la matière. Cela pour la simple raison que l’égalité de traitement lors d’un examen s’apprécie nécessairement et en tout, de la toute première seconde de chaque épreuve jusqu’à la remise des copies aux surveillants. Or, nulle modalité dématérialisée d’examen ne permet de satisfaire cette exigence cardinale fixée par la loi et dont le respect incombe formellement aux établissements. Et non pas aux étudiants eux-mêmes comme a pourtant tenté de le faire admettre le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche en prescrivant aux établissements…
Aussi, la question des motivations et des mobiles qui vous ont conduit à prendre une décision de suspension s’impose-t-elle à moi avec force. Je n’entends pas chercher à y répondre en tout mais je me trouve nécessairement conduit, au regard de la démonstration qui précède, à adhérer fortement à la vision des choses cultivée par le SNESUP-FSU, syndicat qui « se demande dans quelle mesure l’attaque portée à Jean-Pierre Dubois n’a pas vocation à servir d’exemple et à dissuader les enseignant·es et les enseignant·es – chercheur·es de faire preuve d’humanité dans un contexte de crise difficile pour toutes et tous. »…
Le second élément qui plaide en faveur d’une volonté de faire un exemple nous ramène à un passé encore relativement récent. En 2017 vous avez été saisie d’une dénonciation visant un professeur de l’Université de Paris Sud-Orsay que vous présidiez à ce moment. Preuves fournies à l’appui, celui-ci y était mis en cause pour plusieurs infractions graves au cumul des emplois et des rémunérations. Par suite des poursuites que vous avez diligentées à son encontre, il s’est confirmé que l’intéressé – finalement faiblement sanctionné par une interdiction d’exercice de ses fonctions d’enseignement durant un an à mi-traitement – avait durant près de dix années doublé frauduleusement le montant de son traitement annuel de professeur. Ceci en se livrant à des activités d’enseignement et de recherche dans divers établissements supérieurs privés proposant des formations directement concurrentes de celles dans lesquelles il était investi dans l’université publique que vous présidiez alors. Pour le dire autrement et plus brutalement, en vendant sa force de travail à des écoles supérieures privées, le professeur d’université en cause avait en quelque sorte illégalement « soustrait » à son employeur public une somme totale d’environ 850 000 euros, faute d’avoir sollicité et obtenu les autorisations de cumul requises…
Tout me porte à penser que vous avez usé d’une mesure de suspension pour « punir » un enseignant-chercheur qui n’avait pas dû manquer d’exprimer – en vous déplaisant sans doute – des réserves responsables à l’adresse des épreuves dématérialisées que vous aviez pris le parti d’organiser dans votre établissement en dépit des problèmes bien identifiés qu’elles posaient. En tout état de cause, et en prenant acte des positions exprimées par Jean-Pierre Dubois sur le thème des examens en ligne, il m’apparaît que vous ayez pu tenter de le contraindre par force à changer sa position optant ainsi pour un pouvoir arbitraire plutôt que de chercher à faire autorité…
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