Le plagiat sans fard

Le plagiat sans fard. Recette d’une singulière imposture, par Michel Charles, professeur à l’ENS, et directeur de la revue Poétique.

Extraits. « J’ai reçu cet été un courrier de R.-L. Etienne Barnett. Il disait appartenir à l’Université d’Atlanta et au CNRS, exhibait des titres divers et prestigieux et, »sur la fervente recommandation » de deux personnes connues dans notre petit monde, proposait à Poétique un article « récemment achevé » et intitulé « Aux rets de l’insignifiant. Pour une poétique de l’anodin ». Au début de ma lecture, alors que le texte soumis était tout à fait fluide, j’ai trouvé très bizarres deux ou trois expressions qui ne s’inscrivaient pas dans le même registre que le reste (« nuageux soupçon », « parcours littéraire trans-temporel », »saillamment »).

Michel Charles poursuit. « La vraie question n’est pas alors de démasquer un plagiaire, mais de s’interroger sur ce qui a rendu possible un tel parcours.

Nous prenons l’habitude de lire des textes pour le moins étranges, nous prenons l’habitude de voir défiler des bibliographies débordantes, des c.v. plus longs qu’une vie et nous devenons peu à peu aveugles. Les éléments qui, après coup, font qu’on s’étonne que la mystification ait duré si longtemps n’ont tout simplement pas été vus; ils ont été perçus comme des ingrédients à peu près ordinaires, à peu près acceptables, des composants banals du discours et de l’échange scientifiques. Seize conseils de rédaction ici, et là soixante-trois, quatorze livres, plus de cent soixante-quinze articles, des titres partout dans le monde, tout cela accroché à un nom qui, osons le dire, ne brille tout de même pas au firmament de la profession, voilà qui n’étonne apparemment personne, c’est anodin.

On a affaire à une pratique extraordinaire, profondément scandaleuse, incroyable, mais qui, formellement, n’est qu’un peu déviante. Tout est dans le paraître. Ainsi cette histoire a-t-elle aisément trouvé sa place dans un espace de précipitation, de quantification, de course à la publication, de promotion, d’exhibition des titres, de recherche effrénée de la visibilité – un espace où se trouve d’emblée projeté le jeune chercheur, un espace auquel nous sommes plus ou moins contraints de nous habituer, un espace qui devient commun.

Voilà qui n’engage pas à poursuivre l’escalade des classements internationaux ».

Pour aller plus loin : 43 chroniques du blog sur le plagiat.

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