Mai-septembre 1706. Le siège et la bataille de Turin.
Partie 1. 7 septembre 1706 : les troupes de Louis XIV échouent à faire capituler la citadelle de Turin. Source : extraits d’un article de Wikipédia.
« Dans le contexte de la Guerre de Succession d’Espagne, la bataille de Turin mit un terme au siège entrepris par les Français depuis le 14 mai 1706, et remit en cause la campagne d’invasion de la Savoie et du Piémont par les armées de Louis XIV.
Le prince Eugène de Savoie-Carignan (statue ci-dessous, à Turin) et le duc Victor-Amédée II de Savoie parvinrent à libérer la ville en infligeant à l’assiégeant des pertes telles que les Français durent se retirer du Piémont.
Dans le conflit qui opposait la France et l’Espagne au reste de l’Europe, le duc de Savoie Victor-Amédée II avait en 1703 finalement rallié la cause autrichienne conscient que ce choix aurait été le seul qui aurait pu maintenir l’indépendance de ses États face à l’agressivité territoriale du royaume français. La réponse de Louis XIV ne tarda pas : en 1704, une armée franco-espagnole envahit la Savoie puis la Lombardie en quelques semaines. Les troupes espagnoles furent chargées d’occuper la Lombardie, tandis que trois armées françaises cernaient le Piémont : les Savoyards perdirent encore Suse, Verceil, Chivasso, Ivrée et Nice. Seule la citadelle de Turin, construite au milieu du XVIe siècle, résistait encore.
Les troupes franco-espagnoles étaient sur le point de donner l’assaut final en août 1705, mais le général de la Feuillade jugeait qu’il ne disposait pas de forces suffisantes pour cette opération et réclama des renforts : cet attentisme donna aux Piémontais le temps de compléter leur dispositif défensif en prolongeant les murailles jusqu’aux collines avoisinantes, en préparation d’un siège long.
Le siège débuta le 14 mai 1706.
Le maréchal Vauban était partisan de concentrer l’attaque de la forteresse sur un petit côté, compte tenu des nombreuses contre-sapes que l’assiégé avait ménagées devant la ville. Mais La Feuillade ne l’écouta pas et lança 48 ingénieurs à la réalisation du réseau de tranchées habituel. Les assiégés, qui bénéficiaient du soutien de la population, opposèrent une défense opiniâtre, et infligèrent de lourdes pertes aux hommes du génie. Les escarmouches se poursuivirent tout l’été 1706.
Le 17 juin, Victor-Amédée, après avoir confié le commandement de la garnison de Turin au comte autrichien, Wirich de Daun et la défense de la citadelle au général piémontais, Giusepe Mario Solaro della Margherita, parvint à sortir de Turin pour effectuer dans le Trentin une jonction avec les troupes autrichiennes alliées menées par le Prince Eugène. Parmi les héroïques exploits des défenseurs, les historiens retiennent la mission de sacrifice du soldat Pietro Micca, qui fit exploser les galeries de contre-mine de la citadelle, face aux grenadiers français qui tentaient de les investir.
Le duc Philippe d’Orléans voulut se porter contre les troupes autrichiennes, avant qu’elles ne rejoignent Turin, mais le maréchal de Marsin lui montra un ordre écrit de la main du Roi interdisant toute initiative autre que la poursuite du siège. Cet ordre décida de l’issue de la bataille de Turin (mémoires de Saint-Simon).
Le 2 septembre, Victor-Amédée et son cousin, le prince Eugène examinaient la situation depuis la colline de Superga, qui domine la ville et la campagne environnante. Tandis que la garnison de Turin repoussait un ultime assaut « pour l’honneur », ils décidèrent d’appuyer les assiégés en envoyant le gros de l’armée autrichienne (cavalerie comprise) vers les remparts nord-ouest de la ville, où les Français étaient le plus vulnérables. Cette manœuvre réussit et les Autrichiens prirent position entre les deux rivières, la Dora Riparia et la Stura di Lanzo. À ce point, le prince Eugène aurait déclaré : Ces gens-là sont déjà à demi-battus.
Le choc eut lieu le 7 septembre vers 10 h du matin, avec une attaque contre les assiégeants sur toute la largeur des lignes. L’escadron Amadeus découvrit une faille dans les lignes françaises, et tenta par là de couper le flanc droit du centre français. Après deux tentatives pour réduire cette intrusion dans leur lignes, la troisième fut la bonne : les Français se débandèrent. Lorsque Daun ordonna à la garnison de tenter une ouverture sur l’aile gauche des assiégeants, des centaines de soldats se noyèrent dans la Dora Riparia en tentant de s’enfuir.
L’armée française se replia en désordre vers le fort de Pignerol dès le début de l’après-midi. Victor-Amédée et le prince Eugène firent leur entrée en libérateurs dans Turin et firent chanter, suivant l’usage, un Te Deum pour commémorer cette victoire.
Le Traité d’Utrecht reconnut ensuite le duc de Savoie Victor-Amédée comme roi de Sicile (il devint roi de Sardaigne en 1719 après l’échange entre la Sicile et la Sardaigne). Sur la colline de Superga, la Maison de Savoie fit bâtir une basilique où un Te Deum est chanté tous les 7 septembre.
Cette victoire, après l’échec d’une contre-offensive sur Toulon, porta la suite du conflit vers d’autres théâtres d’opérations (les Flandres et l’Espagne) ».
Partie 2. Un siège de quatre mois. Source : François Brizay, La mémoire du siège et de la bataille de Turin (1706), du XVIIIe siècle au début du XXIe siècle, Université de Poitiers, Tierce : Carnets de recherches interdisciplinaires en Histoire, Histoire de l’Art et Musicologie, mars 2021, 28 pages (pp. 4-6).
« Les Français avaient conçu le plan suivant pour la campagne de 1706 : une première armée, commandée par le duc de Vendôme, était chargée d’opérer en Lombardie et de surveiller le prince Eugène. Elle réussit à le battre à Calcinato, près de Brescia, le 19 avril 1706, mais Vendôme le laissa se replier au nord dans les Alpes, persuadé qu’il ne pourrait plus intervenir dans la plaine du Pô. Une seconde armée, commandée par le duc de La Feuillade, devait mettre le siège devant Turin, et contraindre le duc de Savoie à l’accommodement ou à l’exil.
La chute de la capitale de la Savoie aurait été un coup très dur pour Victor-Amédée : il aurait dû faire la paix avec Louis XIV et ses États auraient été partagés entre la France et l’Espagne. La conservation de Turin était donc un enjeu crucial pour lui. Ses ingénieurs militaires menèrent une guerre souterraine acharnée pour empêcher les Français d’y pénétrer.
La guerre souterraine, dont le souvenir joue un rôle important dans la construction de la mémoire des événements de 1706, tint une place singulière dans le siège de Turin. Traditionnellement, les assiégés prenaient des mesures pour empêcher le creusement de galeries par l’ennemi : ils cherchaient à neutraliser les mineurs ennemis en inondant leurs galeries ou en y envoyant une fumée toxique. Quand les soldats d’une galerie ennemie et ceux d’une contre-galerie se rencontraient sous terre, ils se livraient un combat au corps à corps.
L’apparition de la poudre noire, expérimentée pendant le XVe siècle, devint très utile dans la guerre souterraine à partir du XVIe siècle et modifia le système défensif. Les défenseurs prirent l’habitude de creuser des galeries et de construire des casemates au pied des ouvrages défensifs des forteresses et des places-fortes. Il s’agissait d’intercepter les mineurs ennemis et de les empêcher de placer des charges explosives sous les bastions et les courtines. Puis on en vint à creuser des galeries permanentes de contre-mines qui avaient une double fonction : gêner et arrêter la progression de troupes ennemies sous terre, et installer sous le glacis des chambres de mines prêtes à exploser sous les pieds des assaillants. Au début du XVIIIe siècle, les ingénieurs militaires ne concevaient plus le sous-sol comme un théâtre d’opération improvisé, mais comme un authentique champ de bataille.
Le système de contre-mines de la place forte de Turin était habilement conçu. Il fut construit en 1705-1706 à la lumière des enseignements tirés du siège de Verrua. La première mention d’une décision de construire des contre-mines remonte au 7 avril 1705. Les Turinois prévirent d’abord d’en creuser onze, dont sept pour la protection des murailles de la ville, et quatre pour la protection de la citadelle. La défense de la ligne Chivasso-Castagneto donna aux Turinois le temps d’en creuser de nouvelles. Les parois et la voûte de ces contre-mines étaient construites en briques. Au début du siège, le système n’était pas encore achevé, mais déjà solidement avancé.
Chaque contre-mine qui partait de la citadelle était composée de deux galeries superposées. Une galerie basse, située à 12-14 mètres sous terre, allait jusqu’au bout du glacis. De cette galerie partaient de petites galeries qui aboutissaient à des pièces dans lesquelles étaient placées des charges d’explosifs. Une galerie supérieure, qui allait sous les redoutes, était aménagée à 5-7 mètres de fond : on y accédait par un passage ouvert dans le mur de la contre-escarpe. On passait d’une galerie supérieure à une galerie inférieure par des échelles et des volées d’escalier.
Pour les combats souterrains, les Savoyards avaient mobilisé une compagnie de quelques dizaines d’hommes : le capitaine Giovanni Andrea Bozzolino avait sous ses ordres le lieutenant Pottier, deux sergents, trois caporaux et quarante-six mineurs. De leur côté, les Français disposaient à Turin de trois compagnies de mineurs et de huit brigades d’ingénieurs dirigés par Rémy Tardif et Louis-Joseph de Plaibault de Villars-Lugeins .
Turin était défendu par 14 500 hommes : 10 500 soldats et 4 000 miliciens. Le 13 mai, les Français alignèrent devant Turin entre 35 000 et 40 000 hommes dont 5 000 Espagnols, 110 pièces de gros calibre et 49 mortiers. La défaite subie à Ramillies, au Brabant, le 23 mai ayant obligé Louis XIV à appeler le duc de Vendôme sur la frontière flamande, les opérations militaires devant Turin furent confiées à un improbable tandem composé du duc d’Orléans, qui n’avait aucune expérience de commandant en chef, et du maréchal de Marsin – l’un des vaincus de Blenheim – qui devait lui servir de mentor en l’aidant à faire des choix tactiques.
Les Français entreprirent aussitôt le siège. Ils établirent deux lignes pour isoler la ville, mais La Feuillade ne put complètement investir Turin, si bien que le 17 juin Victor-Amédée réussit à quitter sa capitale avec 3000 cavaliers. Contre l’avis de Vauban, les Français choisirent d’attaquer la partie ouest de la ville, où se dressait la citadelle, car La Feuillade estimait pouvoir s’emparer plus rapidement de Turin en prenant cette forteresse. Comme celle-ci était construite au-dessus de souterrains dont les galeries restaient vulnérables aux attaques ennemies, le commandement savoyard avait prévu de protéger les voies d’accès souterraines en y plaçant des troupes spécialisées dans la défense de siège, capables de répondre aux attaques des mineurs français par des moyens appropriés, comme les explosifs.
La Feuillade aurait voulu prendre Turin « à la Coehoorn » , avec des assauts rapides et meurtriers, contrairement aux conceptions prudentes de Vauban. Il fit donc canonner durement la citadelle et ordonna deux assauts aussi coûteux qu’infructueux les 27 et 30 août. C’est pendant la nuit du 29 au 30 août que Pietro Micca se sacrifia pour empêcher les Français d’entrer dans les galeries souterraines de la citadelle ».
Partie 3. La prise de décision militaire à la fin du règne de Louis XIV : l’exemple du siège de Turin, 1706. Source : extraits d’un article de Clément Oury, Histoire, économie & société, 2010/2 (29e année), pages 23 à 43.
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