Le plan Bertin et la navigation fluviale (1763-1773). Chronique mobilisant le livre d’Éric Szulman, La navigation intérieure sous l’Ancien Régime.

Le plan Bertin pour la navigation intérieure (1763-1773) était ambitieux. Il s’agissait de doter le Royaume de France d’un réseau connecté de fleuves, de rivières et de canaux, permettant de parcourir l’ensemble du territoire et ainsi de pouvoir à terme rejoindre toutes les mers qui baignent les côtes du pays.
Développer les voies navigables : problématique ancienne et contemporaine de l’Ancien Régime, mais aussi du monde d’aujourd’hui. Mener les études de faisabilité technique et financière, hiérarchiser et planifier les chantiers, assurer la construction et l’entretien.
L’idée novatrice de Bertin a été de vouloir se passer du système traditionnel de la concession à des entreprises privées à un système de financement public fondé sur le caractère non aliénable du domaine de la Couronne.
Le plan de Bertin tenait la route, mais il s’est heurté à des obstacles politiques et financiers. En dépit de son inventivité pragmatique (systèmes mixtes, temporaires ou différenciés selon les particularités de chacune des provinces du Royaume), la décennie Bertin n’a pas été couronnée de succès. Beaucoup de projets, mais aucune nouvelle voie d’eau d’ampleur.
Les travaux du canal de Bourgogne, serpent … de mer depuis le début du 17ème siècle, ne commenceront qu’en 1775 et ne seront terminés qu’en 1832.
Toutefois, le plan Bertin a eu un impact positif sur l’agriculture et les mines (chronique à venir), et a dessiné les prémisses de politiques publiques au niveau du Royaume et des Provinces, s’appuyant sur une administration propre, coopérant avec des partenaires publics obligés (Ponts et Chaussées, Eaux et Forêts), inventant les montages financiers nécessaires.
Partie 1. Brève biographie d’Henri-Léonard Bertin (1720-1792)
Source : extraits d’un article de Gabriel Arlet d’après Héphaistos à Sophie Antipolis, Gedim, 1991.
Henri-Léonard Bertin (1720-1792) succède, en novembre 1759, à Etienne de Silhouette dans le nouveau gouvernement formé autour du duc de Choiseul.
Portrait de Bertin par Alexandre Roslin
« Né à Périgueux en 1720 dans une famille de robe récemment anoblie, il a fait une carrière brillante et rapide. Maître des Requêtes en 1741, intendant du Roussillon en 1749, puis de Lyon en 1754, il est nommé intendant de Police trois ans plus tard. Cette fonction lui vaut d’être protégé par Madame de Pompadour et de compter parmi les familiers du roi. C’est un esprit « libéral », selon ce qu’entend Montesquieu.
Plein de bonne volonté, il va s’efforcer de réorganiser l’administration des provinces et durant les quatre années passées au contrôle général des Finances, il appuiera sans réserve l’action de Trudaine. Malheureusement, la dégradation de la situation financière provoquée par la guerre dite de Sept ans l’oblige, plus encore que ses prédécesseurs, à des réformes sévères et d’autant plus impopulaires, en particulier à l’établissement d’un cadastre qui doit conduire à une répartition plus équitable des impôts.
Devant l’insubordination générale et dangereuse des Parlements, Choiseul temporise, recule, cède et sacrifie Bertin. En décembre 1763, le duc abandonne le contrôle général à un représentant des opposants, le conseiller au parlement L’Averdy, dont l’inexpérience et la naïveté seront vite la risée des Parisiens toujours moqueurs.
Le roi n’a pu s’opposer au renvoi de Bertin mais il ne veut pas abandonner un ami. Un secrétariat d’État, le cinquième du ministère, est créé spécialement pour lui ».
Partie 2. Décembre 1763, Louis XV crée un Secrétariat d’État pour Bertin. Source : Archives nationales du ministère de la Culture.
« Ce cinquième secrétariat d’État fut créé, de façon tout à fait exceptionnelle, le 14 décembre 1763, au profit de Henri-Léonard Bertin, alors démissionnaire du contrôle général des finances qu’il occupait depuis 1759 après avoir exercé les fonctions d’intendant du Roussillon puis de Lyon et de lieutenant général de police de Paris.
Les attributions de ce secrétariat d’État, détachées du contrôle général des finances, comprenaient : la Compagnie des Indes, les manufactures de coton et de toiles peintes, les haras et les écoles vétérinaires, l’agriculture et les sociétés d’agriculture, les mines, la navigation intérieure, les canaux, les carrosses publics, fiacres et messageries, le roulage, les petites postes, les dépôts et collections de chartes, les loteries, l’échange de la principauté de Dombes, et, comme les autres secrétariats d’État, les dons, pensions, brevets et expéditions dépendant de son département.
Celui-ci, assez étendu, incluait la Guyenne, la Normandie, la Champagne, la principauté de Dombes, la généralité de Lyon, le Berry, les îles de France et de Bourbon et tous les établissements de la Compagnie des Indes.
1764. En butte aux empiètements du contrôle général des finances, Bertin abandonna dès 1764 la Compagnie des Indes et les manufactures de coton et toiles peintes.
1773. Il se fit attribuer à grand peine les questions relatives aux biens communaux, aux défrichements et dessèchements. Le commerce ne fit jamais partie de ses compétences.
1774. Il réussit en revanche à concentrer les mines dont il conserva l’exclusivité, moyennant l’abandon de la navigation à l’intendant des finances chargé des ponts et chaussées.
1775. Turgot reprit les carrosses et messageries.
Privé de moyens financiers et de personnel compétent, le petit ministère de Bertin connut un échec relatif, sauf en ce qui concerne les mines. Sa suppression fut prononcée après la démission de son titulaire, le 26 mai 1780″.
Partie 3. Éric Szulman, La navigation intérieure sous l’Ancien Régime. Naissance d’une politique publique, Presses universitaires de Rennes, Histoire, 2014, 376 pages. Publication sur OpenEdition Books (13 mai 2019).
Bonnes feuilles du chapitre III : diaporama de 15 photos.
Schémas
Partie 4. Compte-rendu de l’ouvrage par Pierrick Pourchasse. Source : Presses universitaires de Rennes, Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, 2016/1, n° 123-1, pages 209 à 210.
« L’ouvrage d’Éric Szulman présente un sujet original : la politique des autorités françaises concernant les voies navigables entre 1660 et 1792. L’auteur interroge sur la longue durée les modalités de l’intervention publique dans la conception d’un réseau de circulation fluviale à l’échelle nationale. La volonté d’améliorer les voies d’eau du royaume devient une préoccupation publique au temps de Colbert ; les règles portant sur la navigation sont intégrées à la réformation des eaux et forêts de 1669. Le propre d’un cours d’eau est d’être chose publique et la police des rivières est définitivement organisée ».
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