1776. Beaumarchais et l’Amérique
Partie 1. Beaumarchais l’Américain. Source. Maurice Lever, in l’Histoire, mensuel 188, mai 1995.
« En 1776, lorsque les colonies d’Amérique proclament leur indépendance, elles ont dans la vieille Europe des monarchies un partisan éclairé : Pierre Augustin Caron de Beaumarchais, qui n’hésita pas, pour faire triompher leur cause, à se transformer en agent secret, chef d’entreprise, marchand d’armes, armateur, stratège, et surtout infatigable propagandiste de la cause démocratique…
De Français que j’étais, je me fis Américain, négociant, politique, armateur, écrivain (Beaumarchais au Congrès des États-Unis, 14 juillet 1783).
J’ai vécu deux cents ans ! plaisantait un jour Beaumarchais. Il n’en fallait pas moins à ce Protée des temps modernes. Qu’on en juge. Horloger à vingt ans, le voici peu après professeur de harpe ; puis, tour à tour, compositeur de vaudevilles, spéculateur et homme d’affaires, auteur dramatique, magistrat, plaideur, pamphlétaire, agent secret, armateur, marchand de canons, éditeur, et j’en passe . Aventurier par nature, libertin par inclination, financier par amusement, au demeurant bon père et ami fidèle, il est par-dessus tout homme d’esprit, d’une gaieté intarissable et d’une bienveillance universelle, malgré ses nombreux ennemis. On s’émerveille de le voir conduire tant d’affaires à la fois. On s’étonne de son aisance à passer de l’une à l’autre »…
Partie 2. Beaumarchais et les Insurgents d’Amérique. Source : André Lebois, Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, Année 1977, 84-3, pp. 173-182. Fait partie d’un numéro thématique : De l’Armorique à l’Amérique de l’indépendance.
« Les études du duc de Castries ou l’énorme Beaumarchais de Grendel (Flammarion, 1973) ont renouvelé la biographie de Pierre-Augustin, qui ne fut auteur dramatique qu’incidemment ; mais, bien davantage, pamphlétaire et agent secret de renseignements, très utile à la Couronne. La révolte des Insurgents contre George III et ses langoustes rouges (Red Lobsters), qu’il avait prévue dès le traité de 1763, lui permit de jouer un rôle dans la difficile alliance de Louis XVI avec la jeune République fédérale. Par des rapports instructifs, obstinément envoyés à Londres, où il est censé rechercher des libelles diffamatoires, Beaumarchais persuade Vergennes, puis le roi, de la nécessité d’aider les Américains, qui seraient ensuite tenus de protéger nos « îles à sucre » : Guadeloupe, Martinique, Saint-Domingue.
D’abord clandestinement, il arme des navires, fait passer des officiers volontaires (La Fayette, Rochambeau, La Rouerie) ; approvisionne les troupes de Washington en hommes, canons et ravitaillement. Il ne fera pas fortune dans ces tractations, car le Congrès ne peut, ou ne veut pas, payer ; mais il y recueillera les fruits d’une immense publicité, et d’une grande popularité. Les Mémoires qu’il adresse au roi témoignent d’indéniables qualités politiques. Déiste rationaliste, Beaumarchais plaide la cause d’opprimés divers (Caraïbes, Noirs, protestants) ; son idéal humanitaire n’est pas différent de celui de Franklin, ni de la franc-maçonnerie qui s’organise dans le Vieux et le Nouveau Monde. Il a même contribué à l’embellissement des villes-champignons, en envoyant outre-Atlantique Houdon ou L’Enfant, qui bâtit la Maison-Blanche et le Capitole à Washington. Les années 1775-1785 ont pu être qualifiées de décade triomphante, dans la vie tumultueuse et sans entractes du père de Chérubin et de Figaro — Pierre-Augustin Caron — ou Carillon, comme prétendait le chevalier d’Eon.
Bien avant 1775, sa conviction était faite. L’Amérique puritaine allait rompre avec Merry old England et l’emporterait, dans le conflit inévitable. Avait-il médité le rapport de Favier ? Jean-Louis Favier (Toulouse, 1711-1784), fils du syndic général des Etats du Languedoc, syndic lui-même, passé dans l’administration, puis la diplomatie secrète, de Louis XV, intrigua contre Choiseul (avec Mme du Barry), fut désavoué par le roi, et… embastillé. Dès la chute du Canada français (1759), Favier avait adressé, sur ordre, un mémoire à Choiseul. Ce ministre (mort en 1785) me dit avoir lu au feu Roy, un extrait, à la même époque — Beaumarchais avait alors vingt-sept ans — . L’essentiel en était qu’après la perte du Canada et de la Louisiane, les « treize colonies » n’avaient plus rien à craindre de la France, contre laquelle Washington faisait le coup de feu avec succès, depuis le 26 mai 1754, qu’il tua son premier Français. Mais tout, de l’Angleterre, qui voudrait se dédommager des frais de la guerre de Sept Ans. Jalouses du statut octroyé par la Couronne aux Français catholiques du Canada — le Québec Act tolérait langue et religion — les colonies intraitables sur leur droit de n’être jamais taxées sans représentants entreraient en rébellion, suivie d’une révolution républicaine, plus funeste à l’Angleterre, si l’on intervenait à temps, que ne l’aura été pour la France la perte totale du continent de l’Amérique.
Beaumarchais a longtemps convoité (de loin!) l’héritage d’une jeune créole, Pauline Lebreton : un vaste domaine à Saint-Domingue. La traîtresse épouse, en 1765, le chevalier de Séguirand. Mais tout ramène notre informateur à Londres... Vous savez l’anglais ? — Je sais Goddam ; et, avec Goddam, on va loin. Il traque, en 1774, un libelle sur la stérilité de Louis XVI. Il se renseigne, et renseigne sur tout ; sur l’exil du duc de Gloucester, frère du roi, favorable aux Insurgents ; connaît Lord Rochford, confident du premier ministre, qui est maintenant North, après Grenville, Rockingham et le premier William Pitt. Il fréquente John Wilkes (1727-1797), un pittoresque agité dont son roi n’appréciait pas le journal North Briton, fondé en 1762 ; refoulé sur la France, Wilkes y rencontrait Diderot, d’Holbach, peut-être déjà Beaumarchais, qui le retrouvera lord-maire en 1774. Beaumarchais conquiert, quoique plaideur blâmé et frappé de mort civile, l’estime du prudent Vergennes, lequel finit par persuader Louis XVI, malgré Lord Stormont, ambassadeur d’Angleterre, qui couvre Figaro de boue. La calomnie, Monsieur »…
Partie 3. Mylne Vivienne, compte-rendu du livre de Frédéric Grendel, Beaumarchais ou la calomnie, Dix-Huitième Siècle, Année 1974, 6, p. 412. Fait partie d’un numéro thématique : Lumières et Révolution.
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