Je ne veux voir qu’une tête !

Dans la chronique Regroupements : le chapitre VIII, je posais la question : pourquoi Geneviève Fioraso en rajoute-t-elle pour faire respecter le calendrier à marche forcée vers la Communauté d’universités et d’établissements (CUE, COUE, ComUE, ou encore COMUE), un des trois modes de regroupement imposés par la loi du 22 juillet 2013. Elle veut absolument faire respecter le délai du 24 juillet 2014, date-butoir inscrite dans la loi pour le vote des statuts des COMUE.

La Ministre et sa directrice de la DGESIP, Simone Bonnafous, font le forcing pour imposer le regroupement COMUE et contrer le regroupement Association. Leur choix est explicable : « je ne veux voir qu’une seule tête ! » C’est là une grave atteinte à l’autonomie et à la démocratie universitaires. C’est là un acte d’autoritarisme. C’est là une preuve de l’attachement de la Ministre à un modèle organisation de l’ESR, combinant de manière incohérente (et jamais vue) une bureaucratie hypertrophiée et un management libéral, l’œil fixé sur ses centres de coûts et de dépenses, sur ses pseudo indicateurs de performance. La COMUE ajoute une couche au millefeuille institutionnel, éloigne de la base les centres décisionnels ; les directeurs et les conseils de composantes n’y auront plus qu’un seul champ de décision : réduire les dépenses et encore réduire les dépenses.

Un effort, chères lectrices et lecteurs. Poursuivez votre lecture car vous allez peut-être vous perdre dans des querelles apparemment byzantines. Elles ne le sont pas. Ne vous démobilisez-pas, même si, sur le terrain du quotidien universitaire, tout le monde s’en fout des regroupements. Le personnel lambda, qu’il soit enseignant ou BIATSS, ne se sent pas concerné, sauf qu’il s’attend déjà au pire. La fin de la collégialité dans la prise de décision, l’hyper-centralisation des décisions, la fin des libertés académiques, c’est un boulevard vers la mort de l’Alma Mater.

Les épisodes du feuilleton. 28 février 2014, Lettre de Geneviève Fioraso aux Président(e)s de Communautés et d’établissements. Extraits. Quelle que soit la forme du regroupement, il revient à un seul EPSCP « chef de file » de coordonner l’offre de formation comme les stratégies de recherche et de transfert. Ce principe s’applique évidemment à la modalité d’association par convention… Je souligne, sur ce point, l’importance de cette convention d’association qui, en tout état de cause, doit préciser « les modalités d’organisation et l’exercice des compétences partagées », ainsi que les modalités gouvernance convenues entre l’établissement chef de file et les établissements associés… La convention ne peut en aucun cas remettre en cause la disposition inscrite dans la loi : chaque regroupement est présenté, organisé, et piloté par un seul établissement, porteur de la stratégie, de la volonté et des projets de tous ceux qu’il rassemble… Un seul établissement pour porter une déclinaison territoriale de la stratégie nationale de l’État.

Les questions pleuvent : les partisans du regroupement « Association » ne s’en laissent pas compter. Le MESR envoie alors un jeu de questions / réponses (FAQ) (10 pages) à la Conférence des Présidents d’Université. Explications de textes encore plus bavardes que la loi elle-même.

Question n°3. En cas de refus d’adoption des statuts par un établissement prévu en qualité de membre, la COUE peut-elle être créée sans regrouper tous les membres du territoire relevant du MESR ? Réponse : il résulte de la combinaison des dispositions transitoires (article 117) et des dispositions pérennes (articles L 718-2 et L. 718- 3) de la loi ESR qu’il n’est juridiquement pas possible à un établissement public MESR de rester sur le bord de la route en dehors du regroupement…

6 mars 2014, lettre de Simone Bonnafous (DGESIP) et de Roger Genet (DGRI). Objet : Examen des statuts des communautés d’universités et établissements (COMUE). Les conseils d’administration des établissements membres ne seront pas obligatoirement consultés sur la version VO de la COMUE. Déni de démocratie !

Commentaire faussement naïf d’un lecteur fidèle du blog. Cette lettre, comme celle de Mme Fioraso, comporte une bonne nouvelle : Mme Bonnafous-Dizambourg reconnait maintenant explicitement que les sites peuvent choisir parmi les trois modes de regroupements, association comprise. Cela comprend la possibilité de supprimer un PRES-ComUE existant, comme le ministère l’a spécifié. Mais comment concilier le contournement, annoncé dans cette lettre, des CA des sites ayant choisi la ComUE avec, d’une part, la garantie d’autonomie des universités, et d’autre part, les engagements solennels de Mme Fioraso devant la représentation nationale. Sénat, 19 juin 2013 : c’est ici la volonté de travailler ensemble qui nous importe, pas le modèle, qui sera librement choisi par les sites, en fonction de leur maturité et de leurs spécificités – fusion, fédération, confédération, association – mais avec un dénominateur commun, une stratégie coordonnée de toutes les composantes d’une académie, sans laissé-pour-compte. Sénat, 21 juin 2013 : l’autonomie sera donc au rendez-vous, puisque les territoires pourront décider de leur organisation… Il ne s’agit pas de fusion à marche forcée : tout est possible afin de s’adapter aux spécificités de chaque site. Ce sont les acteurs du site eux- mêmes qui décideront de la configuration. Tout est combinable.

8 mars 2014. Communiqué de Qualité de la Science Française (QSF) commentant la lettre de Geneviève Fioraso du 28 février. Le regroupement des universités selon le ministère de l’enseignement supérieur : le retour des oukases ministériels ? Extrait. Le moins que l’on puisse dire est que cette interprétation donne un sens particulièrement autoritaire à la loi et confirme ce que les observateurs avertis avaient compris depuis un certain temps : on assiste à une recentralisation du pouvoir en matière universitaire et à une caporalisation des universités par un ministère qui s’est auto-désigné comme le seul représentant de l’État stratège en matière de politique scientifique et universitaire.

18 mars 2014. Question écrite de Barbara Pompili (écologiste, députée de la Somme). Extraits. L’article 62 prévoit une coordination territoriale des établissements d’enseignement supérieur à l’échelle académique ou inter-académique. Il permet à ces établissements de choisir entre trois possibilités : la fusion, la fédération (via une communauté d’universités et établissements ou COMUE) ou la confédération d’établissements (par le biais d’une association d’établissements). Pourtant, il apparaît que la volonté de certains établissements de choisir le mode confédéral a rencontré des résistances de la part du ministère. Ainsi les premières consignes ont été en défaveur de la confédération, le ministère expliquant à l’AEF : « Une simple association entre deux universités ne peut donc pas être considérée comme un regroupement au sens où l’entend la loi » (dépêche n° 193190)… La députée souhaiterait donc savoir comment le ministère compte permettre la mise en place effective du statut confédéral prévu dans cet article L. 718-3 aux établissements d’enseignement supérieur qui en font la demande en laissant auxdits établissements la liberté d’organisation de cette coordination confédérale selon le principe d’autonomie statutaire posé par la loi d’orientation du 12 novembre 1968. La réponse de la Ministre arrivera en son temps.

Retour en arrière. 28 janvier 2014, blog d’Isabelle Rey-Lefebvre (Le Monde), La loi Fioraso modifiée en catimini par une loi sur l’agriculture. La méthode est pour le moins cavalière. Nuitamment, le 10 janvier, lors de la première lecture à l’Assemblée nationale du projet de la loi Agriculture, alimentation et forêt, le gouvernement a fait adopter un amendement qui modifie la loi sur l’enseignement supérieur et de la recherche, deux textes qui ont peu de rapport l’un avec l’autre. Est ce l’heure tardive, l’amendement a été adopté sans susciter la moindre question ou discussion… L’amendement a apporté deux novations. 1. Il supprime le scrutin direct pour désigner les représentants des établissements au conseil d’administration… 2. La condition que 75 % des établissements adhérents soient représentés a été supprimée.

Plus de 100 chroniques sur les regroupements (Fusions, COMUEs, Associations).

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