Doctorat, un arrêté provocateur

Projet d’arrêté fixant le cadre national de la formation et les modalités conduisant à la délivrance du diplôme national de doctorat (30 articles). Ce projet reprend ou réforme des réglementations en vigueur, en introduit de nouvelles.

La logique des changements introduits est celle de la bureaucratie centralisatrice. Celle-ci ne peut pas supporter que des situations concrètes, même rarissimes, ne soient pas encadrées par des règles, des procédures. Elle ne veut pas comprendre qu’il est impossible de tout régler centralement ; il existera toujours des zones d’incertitude, dont Crozier a démontré, il y a plus de 60 ans , qu’elles étaient aussi des zones de pouvoir. La bureaucratie n’aime pas les libertés académiques, n’aime les décisions à la base qui reposent sur la confiance. La bureaucratie est méfiante et souhaite que le sommet de la hiérarchie organisationnelle (le président de la COMUE ou de l’établissement) décide de tout, contrôle tout. Cet arrêté pousse les règles plus loin qu’auparavant, repose sur une méfiance généralisée à l’égard des directeurs de thèse.

Crozier encore : l’hypercentralisation des règles et des procédures aboutit à une impasse et engendre une crise violente contre le système. Les meneurs de cette contestation à venir de la bureaucratie étouffante : les directeurs de thèse. L’arrêté les humilie, les déresponsabilise, les provoque. Vont-ils enfin crier : ça suffit ! Vont-ils se mettre en grève administrative à la rentrée 2015 (non examen ou non transmission des dossiers de candidature au doctorat) ?

La Confédération des Jeunes Chercheurs n’est pas davantage tendre à l’égard de l’arrêté, Réforme du doctorat le Ministère promet, les jeunes chercheur-e-s proposent : ce projet donne une image infantile des doctorant-e-s.

Texte de certains articles de l’arrêté et commentaires de ma part ou de la CJC. Autre analyse : celle des représentants des doctorants à l’école doctorale SHS de l’Université d’Amiens : contre la dénaturation du doctorat, défendons la qualité de la recherche.

Article 1. Le diplôme de doctorat peut s’obtenir dans le cadre de la formation initiale et la formation tout au long de la vie. Il peut notamment s’obtenir par la voie de l’apprentissage ou par la voie de la validation des acquis de l’expérience.
Commentaire de la CJC. La Validation des Acquis d’Expérience ou des nouveautés comme “la voie de l’apprentissage” et l’alternance pourraient ouvrir l’officialisation d’un travail de recherche non financé ou financé par l’allocation chômage.

Dans le cadre de la mise en œuvre de la politique scientifique de site, afin d’organiser à ce niveau la politique doctorale, de contribuer à sa visibilité et à la mutualisation des activités des écoles doctorales, il peut être créé un collège doctoral, auquel sont transférés une ou plusieurs compétences des écoles doctorales qui lui sont associées. Leurs modalités de fonctionnement sont fixées par les établissements dont relèvent les écoles doctorales. Commentaire. Une couche de plus dans le millefeuille institutionnel.

Article 2. Écoles doctorales inter-établissements au sein des regroupements… mais aussi Écoles doctorales comprenant hors un ou des établissements hors du regroupement. Commentaire : comme quoi les COMUE ne résolvent pas tout et qu’on peut faire encore plus compliqué.

Article 3.3. Formation des directeurs de thèse. Commentaire. L’habilitation à diriger des rechercher et la qualification par le CNU seraient donc insuffisantes. Défiance à l’égard des directeurs.

Article 4. Évaluation des formations et des enseignements (et donc des enseignants), en dialogue en particulier avec les représentants du mode économique ; incidence sur la carte des formations de l’établissement ou du site. Commentaire. Défiance à l’égard des directeurs.

Article 5. D’autres organismes publics ou privés peuvent également être reconnus comme établissements associés à une école doctorale… Nécessité d’une convention. Commentaire. Infiltration des établissements privés dans le système doctoral.

Article 6. Lorsqu’une école doctorale relève d’un seul établissement, le directeur de l’école doctorale est nommé par le chef d’établissement après avis de la commission recherche de la commission académique ou des instances qui en tiennent lieu et du conseil de l’école doctorale. Commentaire. Désignation des directeurs d’école et non élection par les pairs.

Article 8. Chaque chef d’établissement décide de l’attribution des financements pouvant être alloués aux doctorants inscrits dans son établissement sur proposition du directeur de l’école doctorale, après avis des directeurs de thèse concernés, des responsables des unités de recherche ou des équipes de recherches dans lesquelles les doctorants souhaitent poursuivre leurs travaux de recherche, et du conseil de l’école doctorale réuni en formation restreinte. Commentaire. Relire pour mieux assimiler la chaîne des avis et pour mesurer les temps de coordination.

Article 9. Conseil de l’école doctorale. 12 à 26 membres dont 20% de doctorants élus par leurs pairs… 15% de personnalités du monde économique. Commentaires. Un conseil pléthorique. Les Associations de jeunes chercheurs demandent davantage de représentants (CJC : présence d’un tiers d’élus doctorants dans les conseils d’écoles doctorales permettant une juste représentation). Les personnalités du monde économique seront absentéistes, sauf dans les sciences dures pour y orienter les sujets de recherche vers le développement rapide ou pour y faire de l’espionnage industriel passif.

Article 11. L’inscription en première année de doctorat est prononcée par le chef d’établissement sur proposition du directeur de l’école doctorale après avis du (des) directeur(s) de thèse et du directeur de l’unité de recherche sur la qualité du projet et les conditions de sa réalisation. Elle vaut admission aux formations dispensées par l’école doctorale. Lors de l’inscription annuelle en doctorat, le directeur de l’école doctorale vérifie que les conditions scientifiques, matérielles et financières sont assurées pour garantir le bon déroulement des travaux de recherche du candidat et de préparation de la thèse.

Commentaires. Bon courage au chef d’établissement. Bien lourde responsabilité pour le directeur de l’école. Défiance à l’égard des directeurs de thèse. Commentaire de la CJC : Le texte ne définit pas le sens de l’expression “bonnes conditions matérielles de travail”, évitant ainsi d’entamer la nécessaire évolution vers la mise en place progressive d’un salaire pour les travaux de recherche réalisés par tou-te-s les doctorant-e-s, comme c’est le cas pour toute autre activité professionnelle.

Article 12. Point 10 de la Charte. Engagement du doctorant à fournir des renseignements à l’établissement d’inscription sur son insertion professionnelle jusqu’à 5 ans après la soutenance. Commentaire. Engagement qui ne mange pas de pain !

Article 13. Un comité de suivi individuel de la formation veille au bon déroulement du cursus en s’appuyant notamment sur la charte du doctorat établie au moment de la première inscription. A partir de la deuxième année du doctorat, il organise au moins une fois par an en présence du doctorant un examen des conditions de sa formation et des avancées de sa recherche. Il formule des recommandations et transmet un rapport de l’entretien au directeur de l’école doctorale. Il veille notamment à prévenir toute forme de conflit, de discrimination ou de harcèlement. La composition de ce comité d’au moins trois personnes sans lien avec la formation du candidat est établie par l’école doctorale.

Commentaire. Défiance et encore défiance. Qui va accepter de participer à un comité de suivi ?

Article 14. La préparation du doctorat s’effectue en 3 ans maximum. Des dérogations, dans la limite de 2 années supplémentaires, peuvent être exceptionnellement accordées par le chef d’établissement, sur proposition du directeur de l’école doctorale et après avis du directeur de thèse, du comité de suivi individuel, du doctorant et du conseil de l’école doctorale, sur demande motivée du candidat. Commentaire. Autres avis suggérés : celui des collègues du doctorant, des secrétaires, des appariteurs, des associations de doctorants, des propriétaires en cas de location, du curé de la paroisse (ou du pasteur, du rabbin, de l’imam), sans oublier du commissaire de police.

Article 15. Un portfolio du doctorant comprend la liste individualisée des activités du doctorant durant sa formation. Il est mis à jour régulièrement par le doctorant en accord avec son ou ses directeurs de thèse. Il est transmis au jury par le directeur de l’école doctorale avant la soutenance de la thèse. Commentaire. Auto-flicage du doctorant pendant toute sa thèse.

Article 16. La direction de la thèse peut également être assurée sous forme de co-direction instaurée par convention entre un ou deux directeurs de thèse répondant aux conditions fixées ci-dessus et un praticien ou créateur reconnu pour sa notoriété et ses compétences. La proposition de codirection est soumise à la décision du chef de l’établissement accrédité, sur proposition du directeur de l’école doctorale. Dans ce cas, les doctorants sont placés sous la responsabilité scientifique des co-directeurs de thèse. Commentaire. Défiance à l’égard des directeurs.

Article 17. L’autorisation de soutenir une thèse est accordée par le chef d’établissement, après avis du directeur de l’école doctorale, sur proposition du ou des directeurs de thèse. Les rapporteurs extérieurs font connaître leur avis par des rapports écrits sur la base desquels le chef d’établissement autorise la soutenance. Ces rapports sont communiqués au jury et au candidat avant la soutenance. Commentaire. Les rapports ne sont pas soumis au directeur ?

Article 18. Le jury de thèse est désigné par le chef d’établissement après avis du directeur de l’école doctorale et du (des) directeur(s) de thèse. Le nombre des membres du jury est compris entre 3 et 8. Il est composé au moins pour moitié de personnalités françaises ou étrangères, extérieures à l’école doctorale et à l’établissement d’inscription du candidat et choisies en raison de leur compétence scientifique ou professionnelle ou leur notoriété dans le champ disciplinaire concerné, sous réserve des dispositions relatives à la co-tutelle internationale de thèse.

Sa composition tend à respecter un objectif de parité. La moitié du jury au moins doit être composée de professeurs ou assimilés. Le ou les directeurs de thèse siègent au sein du jury sans la qualité de membre. Ils ne prennent pas part à la délibération.

Commentaires. Trop, c’est trop ! Mobiliser jusqu’à 8 personnes dans le jury pour une thèse ! Y inclure des non-titulaires de l’HDR et en exclure le directeur ! La défiance à l’égard des directeurs atteint des sommets. Quel directeur acceptera une telle vexation ?

9 Commentaires

Classé dans Non classé

9 réponses à “Doctorat, un arrêté provocateur

  1. Bonjour,

    Merci pour ce résumé express de l’arrêté.

    Tout peut se débattre, et en effet ça donne une vision très hiérarchique de la chaîne de décisions. Il y a un tas d’éléments qui me gênent.
    Mais il y a une seule proposition avec laquelle je suis totalement d’accord, c’est la formation des encadrants. Non, être titulaire d’une HdR n’implique pas qu’on est un bon encadrant (et la qualification n’est pas requise pour être directeur de thèse). Tout le volet pédagogique passe à l’as. Une introduction progressive de formations à l’encadrement (doctoral ou autre d’ailleurs) est une très bonne initiative déjà prise dans plusieurs universités.
    Je ne dis pas qu’aucun encadrant n’est bon pédagogue, j’ai un tas d’exemples du contraire (et ce sont – étonnement, ou pas – ceux-là qui sont le plus enthousiastes à l’idée de se faire former davantage encore à la pédagogie). mais être un bon chercheur (hdr) n’implique pas être un bon encadrant.

    Au plaisir 😉

    Kenneth

  2. Henni

    Je rejoins Kenneth dans son commentaire. J’ai été témoin de situations où des directeurs de thèse n’ont franchement pas été à la hauteur de leurs engagements et devoirs. Des étudiants en thèse en situation de souffrance voire de détresse, j’en ai connu suffisament pour aller dans le sens d’une formation des encadrants à l’encadrement ainsi qu’un meilleur contrôle en cas de situation critique. Un vrai problème est qu’un thésard en souffrance n’osera que très rarement faire état des problèmes qu’il rencontre au niveau de son ED de peur de répercussions sur sa thèse et la carrière qu’il envisage.

  3. Jacques

    Comme les crédits baissent, il est bien commode de suggérer que la préparation de la thèse se fasse en 3 ans maximum. On peut donc allègrement supprimer les postes d’ATER que certaines universités ont déjà du mal à financer. En Sciences Humaines, on ne s’étonnera donc pas que la qualité de la thèse puisse en pâtir puisqu’il faudra impérativement la boucler dans les délais de financement imposés.

  4. Olivier

    Vision extrêmement technocratique du diplôme de doctorat. Dans un pays où les hauts fonctionnaires du ministère (la plupart n’ayant jamais mis les pieds à l’université) décident de l’alpha et de l’omega de la politique d’enseignement et du recherche du pays entier, à quoi s’attendre d’autre ?

  5. TonnerredeBrest

    Il y a la maladie (situation actuelle avec certains excès) et il y a les remèdes proposés qui ne vont pas toujours soigner le malade, mais parfois l’achever sans le vouloir (cas de la création des comités de sélection censée lutter contre le localisme et qui a abouti à des calamités de réunions prévues pour un lapin plus ou moins bien caché dans le chapeau). Dans le cas du doctorat, il y a bien des abus que l’on connaît tous : patrons chargés d’étudiants en grand nombre et n’en suivant aucun ou presque, mais aussi thèses express soutenues en 2 ans à peine parce que le patron (pourtant membre d’un syndicat qui lutte à présent contre la réforme au motif que cela fait perdre de son prestige au doctorat) pousse pour un poste en Sorbonne etc… Ne pas perdre de vue non plus que le doctorat est chose très différente selon les sections CNU et les pays : chez les scientifiques dans d’autres pays scandinaves, c’est la somme de plusieurs articles dans des revues de qualité, et non un seul mémoire plus ou moins épais. Derrière il y a la question cruciale du cursus universitaire : si le doctorat est affaire de 3 ans, alors ce sera plus difficile de bloquer les gens jusqu’à 45 ans pour des postes de PR comme le font certains malthusianistes (parfois dépassés par les ambitions de leurs propres poulains, on l’a vu à l’occasion, mais cela ne les empêche pas de freiner les autres). Bref, à voir…

  6. Pingback: Doctorat, un arrêté provocateur | ...

  7. TD

    Petits points de précision pour M. Dubois : vous auriez pu comparer la version projet 2015 avec l’ancien arrêté de 2006… Il y a quelques petites choses qui vous paraissent anormales mais qui étaient déjà prévues depuis 8 ans !!!
    (en espérant que cela vous permettra de vous concentrer sur les points importants ! la formation des directeurs, le nombre d’années, les comités de suivi…)

    Article 11 : Je tiens à préciser à M. Dubois que l’arrêté de 2006 sur la formation doctorale prévoit déjà que c’est le président de l’université qui inscrit les doctorants chaque année. Comme tous les étudiants de l’université d’ailleurs. Ce n’est donc pas, comme vous le dites, une centralisation ou un surcroit de travail.
    Article 6 : De même pour la nomination du directeur de l’ED : la procédure que vous décrivez est déjà celle en place. Le président de l’université nomme tous les directeurs (y compris des facultés), mais ce n’est pas forcément lui qui les choisit !!!
    Article 16 : codirection : existe déjà aussi.
    Article 15 : le portfolio existe déjà dans mon ED, c’est chiant, mais c’est aussi un moyen de mettre en avant les formations de l’ED. Et il n’est pas transmis au jury.
    Article 14 : inscription dérogatoire après 3 ans : il n’y a que le Comité suivi de thèse qui soit rajouté dans cet arrêté. Tous les autres sont déjà prévus par l’ancien arrêté.
    Article 1 : collèges doctoraux : existent déjà.

  8. Samuel BLIMAN

    Mais non mais non, tous les commentairess sur le texte et la façon de l’interpréter ne parviendront pas à dissimuler le fait qu’en définitive, à tant régenter on vise la disparition du doctorat. Sous jacent , le nombre de diplômés d’écoles, grandes et moins grandes, à mettre en regard du nombre de doctorats décernés: les sortants d’écoles sont « casés », les docteurs à raison de un sur dix atteignent l’emploi: MdC, Chercheurs dans le secteur public(et les autres, dans le privé? quand on sait de longue date, qu’en matière de R&D, dans le privé on préfère et prend les diplômés d’écoles).
    La tension des autorités faire des licences et aprés , comme enGB et aux USA travail. Si doctorat pour ceux ci, comme en GB et aux USA , en formation continue!
    La variété « universitaire et chercheur » se revèle ingouvernable donc la régenter jusqu’à l’asphyxie est proposé par des commissions n’en comportant qu’un nombre minime(comment les eviter à 100%?) bien choisi et « aux ordres ».
    La recherche, on en peut « acheter » les résultats brevetés( ce qui se fait depuis beau temps!).
    Il faut aussi regarder où vont les financements de la recherche: vers le brevetable, vite fait, et susceptible, dans la « compétition internationale » de rapporter « gros »!!

  9. LO

    On revient aux doctorats de 3e cycles délivrés en très grand nombre et qui ne valaient pas grand chose.

    À l’origine, les doctorats étaient des diplôme nationaux, des diplômes d’État:

    Les doctorats de droit et de médecine étaient des diplômes professionnels de fin d’étude passés vers 25 ans (on devient médecin ou juriste et on quitte l’université), tandis que les doctorats ès sciences et ès lettres étaient des diplôme très difficiles, délivrés en petit nombre, passés vers 35 ans pour montrer qu’on est capable d’enseigner à l’université.

    Et puis on a créé dans les ex-facultés de sciences, de lettres et sciences humaines, des doctorats de 3e cycle aussi courants que ceux de médecine et de droit, mais qui ne donnaient aucun débouchés professionnels en dehors de l’université.

    Depuis 1994, l’ancienne thèse d’État a été remplacée par l’HDR, et le doctorat d’université dans les universités devient un nouveau doctorat de 3e cycle.

    Ils vont faire quoi tous ces étudiants avec ce titre de docteur qui n’est reconnu que dans le monde universitaire, et encore?

    C’est honteux de pousser des milliers de jeunes à continuer à faire des études pour passer un diplôme sans débouchés.