1744-47. Louis XV, tentes de guerre

Source 1 en ligne. Extraits de la 1ère partie de : Les tentes de guerre de Louis XV : résidences royales éphémères aux armées (1744-1747) par Paul Bastier, Sociétés de cour en Europe, XVIe-XIXe siècle, 2019.

Résumé. « Pendant la guerre de la Succession d’Autriche, en 1744, Louis XV se met à la tête de ses armées en Flandres. Imitant à la lettre l’exemple de Louis XIV et s’inspirant du modèle de castramétation ottoman, la cour de Versailles connaît alors une métamorphose martiale et se voit véritablement transposée dans chacun des quartiers du roi. Un environnement luxueux et marqué par le cérémonial et l’étiquette est maintenu en campagne par l’installation d’un immense ensemble de tentes dorées et richement décorées, comme la tente salle des gardes, la tente antichambre, la tente salle à manger, ou encore la tente salle des ambassadeurs, la tente chapelle et les nombreuses tentes de la suite domestique du roi de France.

Les plus spectaculaires des tentes du roi sont la tente turque, objet prestigieux offert à Louis XV par la Sublime Porte, et les majestueuses maisons de bois, entourées d’une enceinte de toile, qui incarnent les appartements privés du souverain : chambre du roi, garde-robe, chambre du Conseil ».

Table des matières. Introduction. 1ère Partie : Production, logistique et phases d’utilisation des tentes de guerre de Louis XV

Administration et organisation

« À la veille de la campagne de 1744, l’héritage de l’organisation louis-quatorzienne est presque oublié. Le comte de Saint-Florentin, secrétaire d’État de la religion prétendue réformée est chargé de la préparation des tentes de guerre du roi, en mai 1744, par le comte de Maurepas, son cousin et beau-frère, secrétaire d’État de la Maison du roi, en même temps que de la Marine.

Les tentes sont passées sous l’autorité directe des valets de chambre tapissiers de la Chambre du roi, qui reçoivent 800 livres par an pour ce travail. Elles ne sont pas soumises au contrôle des premiers gentilshommes de la Chambre, ainsi les ordres passent directement du roi au secrétaire d’État de la Maison du roi, qui les transmet aux valets de chambre tapissiers : c’est ce qui a été pratiqué au camp de Compiègne en 1739″.

Production, réparation et stockage

« La fabrication et les réparations régulières nécessaires à l’entretien des tentes sont le fait de l’atelier du château de Vincennes. C’est là que l’on s’affaire à préparer le départ du roi, dans l’urgence, à la veille d’une campagne. En 1747, pour ces travaux, on dépense la somme de mille huit livres pour quarante-deux journées de six garçons tapissiers, tentiers, […] celle de cinq cent quatre livres pour pareilles quarante-deux journées à huit suisses tailleurs. En plus de ce personnel spécialisé, on a recours, pour accélérer les choses, aux services d’autres artisans, ce qui double la première somme : mille huit livres pour quarante-deux journées et veillées de vingt-quatre autres ouvriers employés au rétablissement de toutes les tentes. À cela s’ajoute le travail de « trois garçons menuisiers et un serrurier, venus de Paris à Vincennes pendant quatre jours pour visiter les maisons de bois, les démonter et les mettre en état de partir. La manutention des lourdes toiles et des mâts représente « la somme de deux cent dix livres pour quarante-deux journées à quatre manœuvres employés à porter, et raporter les balots de tentes du garde meubles aux attelliers desdits ouvriers.

Ces 42 artisans travaillent sans relâche jour et nuit dans l’urgence, sous la direction inquiète des deux valets de chambre tapissiers. Ainsi on les paie largement, et on leur fournit, sans discuter, tout le nécessaire, soit la somme de trois cent vingt-deux livres pour menus frais et dépences extraordinaires faites audit Vincennes pendant lesdits quarante-deux jours, pour bois aux ouvriers, et gratiffications à eux accordées par monsieur le premier gentilhomme de la Chambre, à cause des veillées et précipitations desdits travaux […] pour les maîtres et domestiques.

Quels sont le coût et les phases de cette production ? Les ordonnances sur le trésor royal nous renseignent sur la chronologie de la restauration des anciennes tentes et la fabrication des nouvelles. La première campagne de Louis XV, celle de 1744, révèle des insuffisances matérielles criantes. Les dépenses sont réglées à la dernière minute, le 2 mai 1744, jour du départ du roi, puis le 1er juillet, et enfin le 14 juillet, jour où le valet de chambre tapissier Le Prince reçoit 3 712 livres 8 sols pour le parfait paiement des réparations des tentes. Cette somme ne représente que la réparation des tentes anciennes héritées de Louis XIV, et la dépense ne s’élève, au total, qu’à 15 712 livres 8 sols, soit trois fois moins que la dépense consentie lors de la campagne suivante, en 1745. Sans grande surprise par conséquent, à Vlamertingue, en juin 1744, l’installation des tentes du quartier du roi laisse grandement à désirer, à en croire les confidences désolées de l’intendant de l’armée, Jean Moreau de Séchelles, au maréchal de Belle-Isle.

Cette vision de désastre, de la bouche même de l’intendant de l’armée, montre bien la désorganisation initiale de la Maison du roi et le manque de matériel adapté. Dans l’immédiat, face à la pénurie, et pour être en mesure de loger les officiers de la Maison domestique, l’on est contraint d’acheter en hâte, en mai 1744, un ensemble de 16 tentes au marchand lillois Antoine Six dont le coût s’élève à pas moins de 8 390 livres. Le prince de Campo-Florido lui-même confirme que c’est bien l’embarras lié au manque de tentes au quartier du roi de Vlamertingue qui a suscité un effort de production de nouvelles tentes pour le service du monarque : M. de Verneuil me prévenant en outre de ce que S. M. n’avait pas assez de tentes pour son logement et qu’elle ne pouvait nullement m’en offrir une pour mon usage car toutes celles de S. M. étaient utilisées et que l’on en faisait fabriquer d’autres.

Pourtant, si, en mai 1744, le contrôleur Félix reconnaissait que le nombre de tentes disponibles était inférieur à celui des grandes campagnes de Louis XIV, il se persuadait, néanmoins, que leur nombre suffirait, écrivant naïvement : Il y en a moins qu’il n’en a été porté aux grandes campagnes du feu roi mais il y en aura cependant à suffire en y faisant de légers raccommodements pendant le peu de temps qu’on aura avant le départ de la Maison. La Maison du roi n’a donc pas su, dans un premier temps, anticiper les besoins de la transposition de la cour de Versailles aux armées.

En 1745, on tâche de ne pas renouveler les mêmes erreurs. En prévision de la présence du roi au siège de Tournai, on a lancé très tôt, avant le début du printemps, la formation d’un ensemble de tentes, en nombre supérieur à celui de la campagne de 1744. Le 25 mars 1745, Aubry Des Lombards, trésorier général de l’Argenterie de la Chambre du roi, reçoit 20 000 livres, à compte du rétablissement des anciennes tentes, d’une part, et de celles dont la fabrication a été ordonnée pour la campagne de 1745, d’autre part. Il reçoit, en outre, le 12 avril 1745, 10 000 livres supplémentaires spécifiquement destinées aux dépenses des tentes neuves. A ces dépenses s’ajoutent 39 532 livres 11 sols et 1 denier, pour le parfait paiement des tentes et maisons de bois prévues pour le roi et le dauphin, ce qui élève la somme totale à un peu moins de 70 000 livres.

Lors de la campagne de 1746, la préparation des tentes se fait encore plus tôt qu’en 1745. Dès le 11 février, Aubry Des Lombards reçoit 40 000 livres à compte des tentes et maisons de bois. Le 18 mars, il reçoit encore 30 000 livres supplémentaires, et enfin, le 20 janvier 1747, la dépense définitive s’alourdit de 33 199 livres 12 sols et 6 deniers, portant le total des frais d’entretien et de fabrication de tentes nouvelles à 103 199 livres 12 sols et 6 deniers, ce qui représente plus de 30 % d’augmentation par rapport à la campagne de 1745.

En 1747, on renouvelle ce procédé en effectuant les premières dépenses dès le 24 février, à hauteur de 30 000 livres, pour les tentes de la Chambre et pour celles du guet des gardes du corps. Ces dernières forment un ensemble respectable : Pour quatre-vingt-dix-sept canonnières de coutil de Flandres de neuf pieds de faîtière, garnies de leurs mâts, faîtières, destinées pour le service des gardes du corps, à raison de cent livres chacune, la somme de neuf mille sept cent livres. L’expression vague de Tentes de la Chambre  désigne probablement dans l’ensemble les dépenses effectuées par les valets de chambre tapissiers. Parmi celles-ci, relevons une nouvelle commande extérieure à l’atelier de Vincennes de cinq grandes tentes destinées à la Bouche du roi, qui relève de la sous-traitance auprès du même marchand lillois, Antoine Six, déjà sollicité en 1744.

Mais la dépense pour 1747 s’arrête là. Il faut en conclure que le rétablissement du décor matériel imitant les grandes campagnes de Louis XIV est enfin achevé. Il est déployé dans toute sa splendeur au quartier du roi d’Hamal aux mois d’août et de septembre 1747…

Plan particulier du quartier du Roy au Château d’Hamal, 1747, plan aquarellé, 425 x 590. Paris, bibliothèque de l’Arsenal. L’utilisation des maisons de bois du roi est attestée lors de la campagne de 1747. Cette image exceptionnelle permet de voir l’aspect extérieur de ces tentes uniques en leur genre. On remarque notamment la clôture de tissu qui entoure les tentes du roi. Louis XV finira par quitter l’endroit car les fossés qui entourent le château sont chargés de mauvais air, à en croire Lordat.

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Classé dans AA. Histoire 18ème siècle, C. Hauts-de-France (Nord Pas-de-Calais Picardie), E. Ingénierie, Architecture

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