Mulhouse, la SIM, l'école de dessin

Pour créer en 1828 une École de dessin pour le progrès de l’industrie mécanique et textile, il faut des professeurs, des locaux, des équipements pédagogiques ; pour cela, il faut des financements, la gratuité étant de mise pour les élèves. Il ne suffit d’ailleurs pas d’en recruter et de faire progresser les effectifs : il faut les attirer par des cours aux contenus directement utiles et les surveiller pour empêcher un trop grand absentéisme. Les problèmes de 1828 demeurent aujourd’hui. C’est donc un grand plaisir de lire Florence Ott, La Société Industrielle de Mulhouse, 1826-1876. Ses membres, son action, ses réseaux, Presses universitaires de Strasbourg, 1999, 812 pages.

Une école de dessin pour former des ouvriers, des artisans capables d’inventer ou de reproduire de nouveaux motifs pour les manufactures d’indiennes. Celles-ci étaient déjà au nombre d’une quinzaine en 1768 à Mulhouse (ville alors membre de la Confédération suisse). L’école est créée en 1828, à l’initiative de la Société Industrie de Mulhouse (SIM), fondée le 24 décembre 1825. « L’acte de fondation porte les signatures de 17 fabricants ou futurs manufacturiers qui se proposent de créer une association dont le but principal tend à l’avancement de l’industrie dans notre département…. Chaque membre paiera un droit d’entrée de 100 francs et 50 francs de cotisation annuelle ».

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Histoire de l’École de dessin. Quelque part, elle est l’ancêtre du Quai, École Supérieure d’Art de Mulhouse (photo), fusionné le 1er janvier 2011 avec l’École Supérieure des Arts Décoratifs de Strasbourg et avec l’Académie Supérieure de Musique de Strasbourg pour donner naissance à un nouvel établissement : la Haute École des Arts du Rhin (HEAR). Aller plus loin : l’histoire et le Quai, le bâtiment du Quai.

Album de 25 photos : Musée de l’impression sur étoffes et Le Quai, École Supérieure d’art. Lundi 22 juillet 2013 : une journée de reportage dans Mulhouse. Un ami m’a organisé un parcours, un sorte de jeu de piste, à la recherche d’anciens bâtiments d’enseignement supérieur et de recherche en centre ville, avant de nous rendre sur le campus universitaire pour photographier des bâtiments en construction (chronique : Quiz. Deux écoles d’ingénieurs). Une surprise dans le parcours : l’ancien siège de la Faculté des Lettres (album de 8 photos).

Mais revenons à la période de la création puis de développement de l’école (page 489 à 512 du livre de Florence Ott). L’école, c’est une idée d’Eugène Saladin. « Il se propose d’ouvrir un cours de dessin et demande à être chargé de faire les plans et autres ouvrages de dessin et d’être nommé dessinateur de la SIM ». A l’automne 1828, l’école ouvre ses portes : 1.000 francs ont été collectés au terme d’une campagne de souscriptions volontaires lancée par la SIM ; ils devraient couvrir le loyer du local, les bancs, le chauffage, les fournitures… L’école est gratuite pour les 48 premiers élèves. Les premiers cours : « dessin linéaire, dessin de figures et d’ornements, géométrie et mécanique appliquée ». L’école est née d’une initiative privée, sans soutien de la commune ou du royaume de Charles X.

Le matériel pédagogique. « En 1830, la SIM achète, à ses frais, 20 volumes au prix de 6 francs, relatifs au cours de mécanique appliquée de Charles Dupin« .

Premier projet de développement. « En 1830, Édouard Koechklin propose de nommer une commission qui s’occupera des moyens de former une Académie de dessin et de peinture… Tout artisan doit savoir dessiner, car tout le mérite d’un objet, si vulgaire qu’il soit, réside dans l’élégance et la pureté de la forme et c’est l’étude du dessin qui forme le génie ». Certains de ses collègues trouvent l’appellation assez prétentieuse.

Le corps professoral. « L’année 1831 va être consacrée en grande partie à la recherche d’un professeur ». La commission de la SIM mobilise son réseau « pour faire insérer dans les journaux de Paris, Lille, Lyon et Besançon l’offre d’un poste de professeur à Mulhouse ». L’annonce précise : « le genre principal de l’école de dessin et de peinture est la figure et la fleur« . Les artistes sont invités à concourir pour le poste de professeur. Mais la recherche n’aboutit pas dans un premier temps…

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La Commission de recrutement de la SIM n’est en effet pas satisfaite des capacités du candidat, le peintre Soulary de Lyon. Enquête auprès de Camille Rey, professeur de chimie à Lyon. « Nous vous dirons avec  franchise que quoiqu’il perce assez de talent et de génie dans les échantillons que Monsieur Soulary nous a envoyés, nous croyons y remarquer un manque de sévérité dans le dessin qui offre peu de corrections dans les contours, ceci nous a inspiré la crainte qu’il pourrait être un peu négligent sous ce rapport vis-à-vis des élèves« . Soulary est même soupçonné de plagiat ! En mai 1832, la Commission a enfin trouvé son bonheur : elle nomme « M. Leborne, artiste peintre parisien, comme directeur de l’Académie de peinture, chargé de l’enseignement du dessin et de la peinture de la figure et du paysage ». Parallèlement, on note « le développement important de l’école de dessin linéaire dirigée par M. Saladin ». Bien sûr, lors de chaque recrutement, il y a une vive discussion sur les émoluments du professeur.

Recherche de financements publics. L’Académie de dessin est finalement créée en 1832. Elle fusionne en 1834 « sous une même administration le cours de dessin linéaire et celui des machines, des fleurs de figures et d’ornements »« La SIM adresse une pétition au roi demandant une aide pour l’Académie de dessin… : quelques bons ouvrages qui puissent inspirer le goût et la peinture ou servir de modèles, quelques plâtres pour l’étude des ombres seraient reçus avec la plus vive reconnaissance »… « La SIM se voit accorder par le roi cette demande ». Parallèlement, la ville de Mulhouse est chargée de demander des fonds au Ministère du Commerce et des Travaux publics. Un transporteur de Mulhouse accepte d’aller chercher gratuitement les plâtres offerts par le roi. « En 1834, 180 élèves fréquentent l’école ». En 1837, demande d’une allocation au Ministre de l’instruction publique, « pour traverser la crise et attendre des temps meilleurs… La crise a rendu à peu près nuls les dons volontaires ».

Deux nouveaux critères de recrutement. Le premier professeur de l’école, M. Saladin, annonce son départ pour l’industrie à la date du 1er mai 1835. Il faut donc rechercher un remplaçant. Davantage d’exigences à son égard : « Veuillez nous dire si la langue allemande vous est familière et si vous pourriez vous en servir pour l’explication du cours de géométrie à ceux des élèves qui ne comprennent pas le français »… « Libre au professeur de tirer le parti à sa convenance des heures qui lui restent disponibles, à la condition de ne pas donner de leçons particulières dans le local de l’école« .

Évaluations. « En 1843, les résultats de l’école de dessin linéaire de machines et d’architecture dirigée par M. Amouroux sont de plus en plus satisfaisants. Le cours gratuit a été suivi par 110 élèves et le cours payant par 63 élèves, et beaucoup d’admissions ont été refusées faute de place »… Mais en mai 1845, un rapport sur les écoles de dessin a « le regret d’annoncer que la classe de dessin linéaire n’a pas eu les résultats heureux qu’elle obtenait précédemment et que le cours a été suivi irrégulièrement par un petit nombre d’élèves et en général par des élèves encore très faibles ».

Un établissement privé ou public ? « En 1852, Émile Dollfus propose de consolider l’école de dessin et de peinture en la faisant déclarer comme établissement d’utilité publique. Certains membres de la SIM émettent la crainte que par cette mesure l’autorité ne veuille ou s’arroge un droit de gestion ou d’inspection de l’école… Le président écarte cette crainte ». Un projet de statut est élaboré, mais le gouvernement rejette le projet en 1853.

La construction du bâtiment de l’école de dessin. Le rejet du gouvernement, en 1853, entraîne la décision de construire un « bâtiment spécial pour l’école, à la Porte Haute. Les plans sont dressés par Émile Muller« … « En 1854, les souscriptions volontaires s’élèvent à 62.600 francs. Pour terminer le bâtiment, il manque environ 3.500 francs »L’école s’installe dans ses nouveaux locaux en 1855. Au final, il y aura dépassement des coûts de la construction et de l’installation : 82.401 francs ! L’école emprunte 20.000 francs.

Les comptes de l’école. Les recettes chutent de 1857 à 1861, se stabilisent de 1862 à 1870 (déficits de fonctionnement de 1859 à 1867), progressent de 1871 (annexion par l’Allemagne) à 1875, pour atteindre l’équivalent de 9.676 francs dans l’année. De 1873 à 1875, l’école dégage un solde positif de près de 3.000 francs

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Classé dans AH. Histoire 19-20èmes siècles, C. Grand-Est (Alsace Lorraine Champagne-Ardenne)

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