Cadres : prévisions trompeuses

La dernière étude de l’APEC sur l’emploi cadre, Prévisions 2016-2018 des recrutements de cadres en France (n°2016-33, juillet 2016), est, à première vue, belle comme un sou neuf.

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Pensez donc : près de 220.000 cadres pourraient être recrutés en 2018, ce qui constituerait un volume de recrutements de cadres jamais observé auparavant (graphique ci-dessous).

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Cette embellie se fonde sur un des trois scénarios élaborés par l’APEC, celui de la croissance progressive, scénario intermédiaire entre un scénario encore meilleur (celui de la croissance tonique) et un scénario moins bon (celui de la croissance contrariée).

Pour faire tourner le modèle aux fins de calculer le volume des recrutements « Cadres », l’APEC prend en compte trois paramètres classiques : la croissance, l’investissement, la démographie (part des cadres dans l’ensemble des départs en retraite).

Pour l’APEC,« les fondamentaux d’une croissance robuste sont désormais en place. En effet, la santé financière des entreprises s’est améliorée et elles ont pu restaurer leur taux de marge. Le climat des affaires porteur et des conditions de financements favorables devraient les inciter à relever significativement leurs dépenses d’investissement. Quant aux ménages, leurs dépenses de consommation devraient demeurer un moteur actif de la croissance. Cette dynamique pourrait perdurer au moins jusqu’en 2018 ».

Mais les prévisionnistes sont des gens prudents : il peut y avoir des scénarios qui se dégonflent comme des baudruches. « Pour autant cet enchainement vertueux reste soumis à divers aléas. Ainsi, la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne décidée par référendum par les Britanniques pourrait changer la donne. Elle ouvre une période d’incertitudes pouvant affecter les décisions des acteurs économiques notamment en matière d’investissement ».

Bilan de cette modélisation ? Un exercice qui ne sert strictement à rien. Pour une première raison : en 2018, plus personne ne se souviendra de cette étude APEC !

Plus gravement, il faut s’empresser de dénoncer les dangers des scénarios optimistes, quand ils prennent en compte un trop petit nombre de variables. A la variable « nombre de recrutements de cadres », il faudrait ajouter une variable sur le turn-over (la progression de celui-ci entraîne une hausse du nombre de recrutements sans forcément faire progresser le nombre total d’emplois).

Plus gravement encore, l’APEC ne s’intéresse nullement à la répartition du nombre de recrutements selon l’âge (nombre de recrutements offerts aux jeunes diplômés du supérieur dans l’ensemble des recrutements) et au nombre de postulants pour les emplois offerts.

Le nombre de jeunes diplômés du supérieur à bac+5 qui arrivent désormais chaque année sur le marché du travail est proche de 200.000 (32.000 ingénieurs, 41.000 diplômés des écoles de gestion et de commerce, plus de 121.000 diplômés de master –  source RERS 2015). 200.000 jeunes arrivants sur le marché et pensant pouvoir postuler à un emploi « cadre » parce qu’ils ont un bac+5 versus 200.000 recrutements de cadres en 2016 (220.000 en 2018). Il y a comme un problème, non ?

Bref, l’APEC joue la facilité en se limitant à des prévisions de recrutement. Elle devrait s’intéresser à l’ensemble des situations observables sur le marché du travail (chômage, déclassement). Il en va de sa crédibilité !

3 Commentaires

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3 réponses à “Cadres : prévisions trompeuses

  1. Marianne ABRAMOVICI

    Pour autant, Pierre, de notre petite position de responsable de Master, nous constatons d’ores et déjà une embellie dans le recrutement de nos apprentis (50 % embauchés avant la fin de leurs études) et des demandes de CDD d’anciens. Le pire semble avoir concerné la promotion sortie en Septembre 2014, et la reprise, timidement visible l’année dernière, semble se confirmer depuis quelques mois.

  2. Erwann

    Et si, tout simplement, on oubliait la notion de « cadre » ?

    « Être cadre » est un concept typiquement français. Il y a certes un besoin d’encadrement dans chaque industrie et dans chaque pays, sans que cela ne devienne un but ultime dans la vie, en particulier en cas de recrutement.
    Personnellement, je pars du principe que l’on ne peut bien encadrer/diriger/conduire une équipe que si l’on sait également faire le travail, et exécuter les tâches que l’équipe doit réaliser. Être cadre au sortir d’une formation initiale n’a que peu de sens. C’est comparable aux « consultants » (autrefois on disait « ingénieur-conseil ») qui n’ont aucune expérience pratique du milieu industriel dans lequel ils évoluent mais qui sont supposés conseiller leurs clients (internes ou externes).
    Je préférerais de beaucoup que l’on nous parle des besoins en ingénieurs compétents, en scientifiques de haut niveau qui apportent à leurs employeurs un véritable savoir qu’ils maîtrisent avec rigueur.
    Quel énorme gâchis de former de manière coûteuse des jeunes ingénieurs et scientifiques qui après 5 ans de pratique (dans le meilleur des cas) vont tout faire pour devenir « manager » (cadre?) afin d’être mieux reconnus et mieux payés.
    12 ans de système scolaire + 5 ans d’enseignement supérieur pour 5 années de pratique (dont 2 ans en tant que grand débutant), le retour sur investissement est définitivement (largement) négatif.
    À mon humble avis, la résolution de ce non-sens économique et en ressources humaines représentera une véritable solution pour améliorer l’efficacité des entreprises et du pays.

    La force de l’apprentissage en Allemagne et en Suisse est de fournir un encadrement compétent, parce qu’il connaît le métier et ses contraintes.

  3. @marianne. On ne pourrait que se féliciter d’une embellie de l’insertion. Il demeure qu’il faut s’interroger sur le nom de diplômes Bac+5 délivrés chaque année par rapport au nombre d’embauches « cadres »

    @erwann. La chronique porte sur l’exercice de prévision effectué par l’APEC et sur ses limites

    Vous ouvrez, pour votre part et avec raison, d’autres chantiers de réflexion. Celui de la dénomination « cadres » : ne pas oublier que le « cadre » n’est pas un concept mais un statut, une classification rangée dans une catégorie socio-professionnelle « cadres et professions intellectuelles supérieures ». Celui de la relation formation – emploi. Celui de la reconnaissance des diplômes dans les grilles de classifications. Celui des régimes complémentaires de retraite. Celui de la durée des études en formation initiale et tout au long de la vie… Réflexions à poursuivre ! Merci