Enseignants-chercheurs giflés

Assemblée nationale, Loi de finances pour 2019, Rapport de Philippe Berta, Recherche et Enseignement Supérieur, Enseignement supérieur et vie étudiante, 86 pages.

21 pages de ce rapport sont dédiées aux enseignants-chercheurs (dont les pages de recommandations, 30 à 38) : pour une plus grande reconnaissance et un meilleur accompagnement des enseignants-chercheurs dans l’ensemble de leurs missions.

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Ce rapport constitue un nouvel allongement du serpent de mer de la carrière des enseignants-chercheurs. Après 11 années au CNRS, j’ai été professeur des universités de 1980 à 2008. Durant toute cette période, les rapports sur la carrière des enseignants-chercheurs se sont succédé. Tous ont observé une insuffisance (ou plutôt une absence) de prise en compte de la mission d’enseignement des enseignants-chercheurs. C’est la recherche qui fait la carrière.

Le rapport de Philippe Berta n’y changera rien. Pire, il est extrêmement choquant : une gifle, une vexation de plus pour les jeunes enseignants-chercheurs. Alors que les maîtres de conférence sont recrutés à un âge de plus en plus avancé et qu’ils ont déjà une expérience d’enseignement conséquente (cf. ma chronique du 10 novembre 2018, 1000 postes Fioraso. Mensonge !), on les considère comme de jeunes enfants qu’il faut prendre par la main.

Extraits du rapport.

  • « Au-delà de l’offre de formation classique, les jeunes enseignants-chercheurs pourraient se voir proposer, à l’issue d’un entretien de suivi avec le service des ressources humaines de leur établissement, un mentorat par des collègues plus expérimentés, sur une base volontaire, afin de disposer de conseils pratiques et de prendre la mesure des enjeux liés à la pédagogie ou à d’autres dimensions du métier d’enseignant-chercheur.
  • Ensuite, il conviendrait de mieux faire connaître les pratiques d’observation de l’enseignement par des pairs, qui connaissent une expansion chez certains de nos voisins. L’observation de l’enseignement par les pairs permet de recevoir un retour de la part de collègues sur son enseignement, mais aussi de se rendre compte de la diversité des approches d’enseignement possibles, parfois au sein d’un même cursus ou d’une même unité de formation et de recherche. Elle offrirait aux enseignants-chercheurs qui le souhaitent la possibilité d’enrichir leurs pratiques pédagogiques, de repérer des difficultés qui leur auraient échappé, comme de rassurer ceux d’entre eux qui douteraient de la qualité de leurs enseignements sans véritable raison. Cette observation ne peut s’envisager que sur la base du volontariat, dans un esprit bienveillant et en vue d’une amélioration mutuelle des pratiques : ici encore, l’objectif est de développer un contexte de soutien plutôt qu’un cadre de contrôle. Les résultats de ces séquences d’observation, s’ils sont fructueux, pourraient trouver leur place dans les dossiers d’enseignement rédigés par les enseignants-chercheurs.
  • Il serait également utile d’encourager, au sein des établissements, la constitution de tiers temps pendant lesquels les enseignants-chercheurs pourraient échanger sur leurs choix et leurs difficultés d’enseignement. Ces échanges, qui pourraient avoir lieux entre collègues d’un même établissement ou entre enseignants d’une même discipline relevant d’établissements différents, permettraient d’amener les enseignants à formaliser leurs savoirs pratiques et à les diffuser, de favoriser des collaborations entre enseignants sur des projets pédagogiques et, de manière générale, de créer une dynamique de partage et de réflexion pédagogique parmi les enseignants-chercheurs ».

Et si on discutait sérieusement et en fin d’une réforme de l’ensemble du 1er cycle d’enseignement supérieur (création d’Instituts d’enseignement supérieur), qui serait accompagnée d’une réforme du statut de l’enseignant du supérieur ?

Actualisation de la chronique suite au commentaire de Dominique Meurs. Référentiel

3 Commentaires

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3 réponses à “Enseignants-chercheurs giflés

  1. Dominique Meurs

    Pour une fois, je ne serai pas tout à fait d’accord avec vous sur ces points. Même si j’en trouve la rédaction maladroite (et le passage par le SRH pour un entretien d’évaluation surréaliste dans les conditions actuelles!), les pratiques recommandées ici correspondent à ce que nous faisons déjà spontanément entre certains collègues. Effectivement les jeunes MCF sont demandeurs auprès des anciens de conseils, de trucs, même s’ils/elles sont déjà de l’expérience. Les pratiques comme « quelles formes d’examen adopter? », « comment utiliser cette application pour interroger les étudiants? » sont des conversations usuelles parmi nous. Un exemple de contagion informelle de pratiques: lors d’un débat public, je rencontre un PR en sciences de Toulouse qui me parle d’une appli qui permet de faire en ligne pendant l’amphi des QCM avec résultats instantanés, j’en parle à ma collègue économiste qui a des amphi L1 et qui le met en place, et qui du coup en parle à d’autres collègues dans d’autres disciplines… et c’est ainsi que petit à petit les amphis deviennent plus réactifs.
    Donc je trouve que ce ne serait mal de dédier officiellement du temps à ces mises en commun de « trucs » et d’en reconnaitre l’utilité pour l’institution.

  2. Merci Dominique pour ce commentaire. Le travail d’enseignement de l’enseignant-chercheur implique effectivement une coopération avec les collègues, induit des échanges de bonnes pratiques. Faut-il « dédier officiellement du temps à ces mises en commun » ? je réponds : non, et surtout non. L’autonomie de l’universitaire veut qu’on ne l’enferme pas dans un corset de petites et multiples règles, qui engendrent des pertes de temps

    Avez vous oublié l’arrêté de septembre 2009 https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000020974583 ? Il crée le référentiel national des équivalences horaires en particulier pour des innovations pédagogiques (capture d’écran en fin de chronique). Ce référentiel n’a fait qu’amuser la galerie.

    Cette astuce (attributions de primes et/ou de décharges de service) a été un palliatif pour masquer la détérioration importante de la grille indiciaire des enseignants chercheurs (indice de recrutement – recrutement d’ailleurs à un âge plus avancé – et indices de promotion.

    Le rapport Berta participe de cette mise en scène de l’infantilisation des enseignants-chercheurs, de la bureaucratisation rampante (création de nouveaux services comme les Instituts pédagogiques, appels à projet d’innovations pédagogiques dont les lauréats sont primés), d’une stratégie de division de corps enseignant et d’individualisation (chacun pour soi) cf ma chronique de septembre 2009 , les enseignants aux forfaits http://histoireuniversites.blog.lemonde.fr/2009/09/02/enseignants-des-forfaits/

    Au final, ce n’est pas le rapport Berta qui va conduire à une meilleure prise en compte de l’investissement pédagogique des enseignants-chercheurs dans leur carrière.