Saint-Dié. 10 ans de reconstruction

Saint-Dié-des-Vosges, exposition Le Corbusier / Jean Prouvé, proches à distance, prolongée jusqu’au 3 janvier 2021 inclus. 8ème chronique dédiée à une visite virtuelle de l’expo : le Plan de Reconstruction de la ville, conçu par Le Corbuisier en 1945.

Le musée Pierre Noël  de Saint-Dié-des-Vosges comprend une petite dizaine de sections, dont une dédiée à Le Corbusier. Lorsque le moment arriva de reconstruire la ville après le dynamitage allemand de 1944, un projet audacieux de l’architecte fut envisagé. Très en avance sur son temps, donnant la priorité aux espaces verts et aux piétons, celui-ci proposa une vision globale de la ville du futur, que ses opposants jugèrent trop collectiviste. Ses idées ne furent donc pas retenues.

La salle François Cholé s’organise autour d’une grande maquette de la ville telle que Le Corbusier l’avait imaginée au moment de la reconstruction. Cette présentation en trois dimensions est complétée par des plans, perspectives et photos diverses, notamment celles liés au seul projet effectivement réalisé par l’architecte-urbaniste à Saint-Dié-des-Vosges, l’usine Claude et Duval, une bonneterie qui est aussi le seul bâtiment industriel dans une œuvre abondante par ailleurs (lire la chronique du blog : 1947-52. Le Corbusier, l’usine Duval)

Deux sources mobilisées pour cette chronique :

A. La lente reconstruction

« La reconstruction tarde dans un pays qui sombre économiquement au plus bas en 1947. Le théoricien et architecte Le Corbusier, nommé conseil auprès de l’architecte en chef Jacques André, propose un projet au ministre de la Reconstruction Raoul Dautry : une cité jardin assemblage de grandes tours au centre de la vallée et des maisons de loisirs parsemées aux abords des collines. Mais la pénurie de matériel et de fonds entrave l’amorce de cette réalisation modèle dont le plan d’ailleurs tarde du fait des désaccords entre architectes et/ou fonctionnaires. Différentes associations de sinistrés ou assemblées de propriétaires et d’habitants s’offusquent et finissent par se rassembler autour du plan simple et pratique, conciliant avec les propriétaires car en grande partie restaurateur de l’ancien plan cadastral urbain, de l’architecte en chef départemental Georges Michau, secondé par Paul Résal. Le 31 janvier 1946, le conseil municipal adopte sans appel un projet d’un fonctionnaire du ministère, inspiré par la proposition Michau.

En 1946, le ciment est rare et les soubassements des logements provisoires ne peuvent être réalisés qu’en bois. Début 1952, la rue Thiers n’est encore qu’amas de pierres. La lente reconstruction du cœur de la ville commence. Fin 1952, la rue Dauphine commence à renaître et une première maison apparaît rue Thiers. Quelques rares habitants peuvent réintégrer le centre en reconstruction, mais l’immense majorité des habitants qui n’ont pas quitté la ville vivent en baraques. Le camp de la Vaxenaire ouvert en 1944 et qui commence à se vider à partir de 1956 était un des plus grands camps boueux. Les hauteurs de la Vigne Henry couvertes de baraques en bois aux planches disjointes, sans réseau d’eau, ni électricité, ressemblent en 1948 à un vaste bidonville que de nombreux habitants essaient de quitter souvent en vain. C’est la réalité quotidienne de la plupart des gens de Saint-Dié ».

B. Le plan de reconstruction de Saint-Dié (1945). L’échec de Le Corbusier

Long texte de Daniel Grandidier, conservateur du musée de Saint-Dié, publié dans Transvosges n°12. Photos de la maquette exposée au musée de Saint-Dié-des-Vosges.

En rose, l’église Saint-Martin et la cathédrale. En rouge les voies pour les voitures. En jaune, les voies piétonnes

« Un jeune industriel déodatien en bonneterie, Jean-Jacques Duval, qui avait fait ses études à l’École polytechnique de Zurich où il avait entendu parler de Le Corbusier, décide de rencontrer ce dernier dans son atelier de la rue de Sèvres à Paris, vers 1935 (rencontre de le Corbusier).

En 1943, Jean-Jacques Duval demande à l’architecte-urbaniste de réfléchir au développement futur d’une ville industrielle et en particulier de se pencher sur le cas de Saint-Dié. A cette époque, personne n’imagine le désastre de novembre 1944 où les nazis feront dynamiter et incendier tout le centre historique de la ville. C’est donc finalement un plan de reconstruction qu’il faudra concevoir.

Le bilan de novembre 1944 est en effet catastrophique : 10 585 sinistrés totaux, 1200 sinistrés partiels (la ville comptait 17 500 habitants en 1940, 15 000 en 1944).  Plus de 2000 immeubles, 400 commerces, tous les édifices publics sont atteints ou anéantis. Depuis le début du conflit, la ville a payé un lourd tribut humain : 1107 déportés dont 943 le 8 novembre 1944, 249 requis pour le S.T.O. en Allemagne, 28 tués.

Certains architectes originaires de Lorraine et résidant à Paris voient dans ce cataclysme une aubaine et proposent immédiatement leurs services au Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme (le MRU), avançant le nom de Jacques André de Nancy comme urbaniste.

Jean-Jacques Duval pense, quant à lui, que se présente là « l’occasion unique de réaliser un plan d’urbanisme exceptionnel ». Tout d’abord Le Corbusier, consulté par Jean-Jacques Duval, décline l’offre. Amer, car le Ministère ne lui a confié que le port de La Pallice (La Rochelle) – reconstruction et extension – et l’extension de Saint-Gaudens en liaison avec l’exploitation du gaz naturel dans ce secteur, l’architecte est également méfiant : dès lors qu’il aura accepté, il sait qu’il consacrera « tout son temps, tout son enthousiasme et toute son énergie pour un résultat très aléatoire ».

Jean-Jacques Duval s’emploie à sensibiliser la municipalité et certaines personnalités locales. Une des deux associations de sinistrés de la ville adhère au mouvement. Finalement au printemps 1945, Le Corbusier, après un voyage à Saint-Dié, accepte, séduit par le site et stimulé par l’amitié, d’être urbaniste-conseil de la ville.  En juin 1945, le plan pour Saint-Dié est prêt. C’est André Wogenscky qui a dessiné tout le projet d’après les croquis de Le Corbusier.

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Classé dans AH. Histoire 19-20èmes siècles, C. Grand-Est (Alsace Lorraine Champagne-Ardenne), E. Ingénierie, Architecture

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