Paris : 250 places en L1 AES !

Suite des chroniques inspirées par mes discussions avec le président de la Fédération nationale des Associations Représentatives des Étudiants en sciences Sociales (ARES) : Propositions de l’ARES ; Il faut fermer la filière d’administration économique et sociale (AES) ! L’ARES est évidemment opposée à cette fermeture!

Cette 3ème chronique pose plusieurs questions. 1. Combien de néo-entrants (bacheliers de l’année) s’inscrivent en 1ère année de licence AES ; quelle évolution ? 2. Pourquoi la licence AES n’existe-t-elle pas dans toutes les universités (offre de formations) ? 3. Pourquoi, dans certaines des universités où la licence existe, un contingentement (limitation du nombre de places à l’entrée de la L1) est-il en vigueur ? 4. Selon quels critères, les licences AES sont-elles réparties sur le territoire (carte des formations) ?

1. Le nombre de nouveaux entrants en 1ère année de licence AES a diminué au cours de la dernière décennie, alors que le nombre a fortement progressé à l’entrée en 1ère année des licences de droit, d’économie et de gestion (tableau ci-dessous).

Nouveaux entrants EvolutionInversion de la tendance à la rentrée 2014 ? On note en effet une progression des entrants en L1 AES (de 9.400 à 9.900) et une diminution en droit et en économie (tableau ci-dessous).

Nouveaux entrants 2014-2015Hypothèse pour expliquer le changement de tendance en AES. En 2014, le nombre de bacheliers professionnels a fortement progressé : + 32.000. Pas assez de places pour eux dans les BTS et les DUT tertiaires. Faute de mieux, un millier de bacheliers professionnels de plus se serait inscrit en licence AES (à vérifier). Rappelons que c’est dans cette filière que les bacs pros sont les plus représentés (25,5% des effectifs en 2012-2013, tableau ci-dessous).

Nouveaux entrants par bac 22. Offre de formation en licences AES. Admission Post-Bac 2015 recense 77 licences, réparties dans 49 établissements. Autrement dit, pas de licences AES dans plus d’un tiers des universités ; des licences AES dans plusieurs des sites de la même université ; plusieurs parcours de formation de licence AES au sein d’une même université.

Il est important de focaliser d’abord l’attention sur les 17 universités franciliennes : huit universités intra-muros (Paris 1 à 7, Paris 9 Dauphine) ; neuf universités en première et seconde couronnes (Paris 8, 10, 11, 12, 13, Marne-la-Vallée, Cergy, Évry, Versailles). La chronique suivante portera sur les licences AES de province et d’outre-mer.

Une seule des universités de Paris intra-muros – Paris Panthéon Sorbonne – organise une licence AES ; mais la capacité d’accueil de celle-ci est limitée à 250. Paris 2 Panthéon Assas a aussi une licence AES, mais elle est organisée dans son antenne de Melun (capacité d’accueil : 150). Bien sûr, personne n’est étonné : pas de licence AES à Paris Dauphine ! A dominantes Sciences, Santé et/ou Humanités, les 5 autres universités parisiennes intra-muros échappent à la formation AES.

« Échappent » est bien le mot. Au final, les huit universités de Paris intra-muros n’accueillent que 250 néo-bacheliers en L1 AES (sur un total de 9.900) ! Sans le crier sur les toits, les universités de Paris intra-muros ont réussi à ne pas traîner le boulet des bacheliers technologiques et professionnels, leurs mauvais résultats faisant « tache » quand on veut s’affirmer « universités d’excellence ». Ce faisant, elles pratiquent une évidente et condamnable discrimination sociale (ces bacheliers sont davantage issus des classes populaires).

3. Le contingentement. Paris 1 et Paris 2 limitent le nombre de places à l’entrée de la L1 AES. Il existe une licence AES dans cinq des neuf universités de la 1ère et de la 2ème couronne francilienne, mais chaque fois un contingentement est mis en place. Paris 8 Vincennes Saint-Denis pratique un contingentement à plusieurs étages : 250 places en L1, 120 en L2 et en L3 ; Paris 10 Ouest Nanterre la Défense : 260 places ; Paris 13 Nord Villetaneuse : 210 places. Évry Val d’Essonne : 300 places. Versailles Saint-Quentin : 250 places. Soit un total de 1.270 places pour ces cinq universités (et un total global de 1.670 places en incluant Paris 1 et Paris 2) sur 9.900 places dans l’ensemble de la France.

Pas de licence AES dans quatre des neuf universités des deux couronnes franciliennes : ni à Paris 11 Orsay (alors que sa Faculté de Sceaux a des formations de droit, d’économie et de gestion), ni à Paris 12 Est Créteil (lire le point 4). Deux des quatre universités nouvelles, créées ont 1991 (Cergy-Pontoise, Paris-Est Marne-la-Vallée) n’ont pas de filière AES ; Marne-la-Vallée, créée par Paris 7, n’en voulait surtout pas !

Au final, des licences AES dans 7 des 17 universités franciliennes, 7 licences contingentées. Rappelons que c’est le recteur d’académie (3 recteurs en Ile-de-France) qui autorise la limitation du nombre de places après avoir défini une capacité d’accueil (fonction des locaux et des potentiels en personnel enseignant et administratif).

Pour ma part, je ne crois plus à l’application de ce critère. Toutes les universités souffrent désormais de pénuries de moyens, en particulier en 1er cycle.

Le contingentement cache désormais un processus rampant de sélection, de sélection sociale en particulier. Les universités franciliennes qui ont obtenu un contingentement en AES ne veulent plus être confrontées à la masse grandissante des bacheliers professionnels ; ceux-ci n’ont en effet que de très faibles chances de réussir (cf les résultats à Paris 1 : 6% des inscrits de 2012-2013 ont obtenu la L1). Mais la sélection sur dossier ne peut être pratiquée en licence. La tri est effectué par Admission post-bac : priorité aux bacheliers de l’académie ; s’ils sont trop nombreux, l’université se voit obligée de tirer au sort les candidats. Le contingentement est nuisible. Sans tabou, il faut discuter de la sélection !

4. La carte des formations. Les présidents de Paris-Est Créteil et Paris-Est Marne-la-Vallée veut fusionner leurs deux universités au 1er janvier 2017. J’espère personnellement que ce projet de fusion sera vite abandonné. Ne serait-ce que parce que l’offre de formation des deux universités – elle vient d’être accréditée – ne comporte pas de licence AES. Je devrais en être heureux car je souhaite que cette filière ferme. Je ne le suis pas car « faire cavalier seul sans le dire à quiconque » n’est guère éthique.

Paris-Est Créteil a joué un beau coup, profitant sans doute de la présence à la tête de la DGESIP de son ancienne présidente, Simone Bonnafous. Admission Post Bac propose en effet une licence Administration et Échanges Internationaux (licence AEI), avec 7 parcours de formation tous contingentés ! Geneviève Fioraso a claironné partout qu’elle avait simplifié la nomenclature des licences pour pouvoir rendre plus lisible l’offre de formation de 1er cycle. Elle a fait une exception, comme par hasard favorable à l’université de sa DGESIP. Les 7 parcours : parcours Administration et gestion des entreprises, parcours Amériques, parcours Commerce international, parcours Europe, parcours International business, parcours Ressources humaines, parcours Shanghai.

Ces 7 parcours excluent les étudiants issus des classes populaires, car des stages à l’étranger sont possibles (et souhaitables) pour chacune des 3 années du parcours de licence. Le contingentement et l’international sont dissuasifs pour la plupart des bacheliers technologiques et professionnels. Cette offre élitiste est un mauvais signe pour la progression de la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur. Bizarre et honteux qu’elle soit portée par le plus haut niveau du mammouth de l’ESR !

1 commentaire

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Une réponse à “Paris : 250 places en L1 AES !

  1. Vatin, François

    La démonstration est très convaincante et doit être rapprochée de l’interview de Thierry Mandon (pour ne pas parler de celui d’Isabelle This-Saint-Jean : http://www.letudiant.fr/educpros/entretiens/isabelle-this-saint-jean-il-faut-tenir-un-discours-de-verite-aux-universitaires.html sur Educpros) et de mon propre texte récemment mis en ligne sur ce site : « Université, la crise s’aggrave ».

    Qu’est ce qui nous est montré en effet : que la « sélection », évincée par la porte des principes, rentre par la fenêtre des réalités, sur un mode plus sournois, mais plus fort et plus pervers. Tout le système d’enseignement supérieur français repose sur une sélection féroce, de plus en plus socialement marquée. Le caractère « non-sélectif » de l’université signifie seulement qu’elle est chargée de récupérer les non-sélectionnés. Interdites de sélection explicite, les universités (c’est un secret de polichinelle) s’organisent au mieux pour la réintroduire par le choix des cursus, la définition des capacités d’accueil, etc. A la hiérarchie entre le secteur sélectif et le secteur non-sélectif (les universités) vient donc s’ajouter une hiérarchie entre les universités, suivant leur position « écologique » (avec ce privilège de Paris intra-muros que le cas de la filière AES montre bien) et une hiérarchie au sein même des établissements entre les filières pour « riches » et les filières pour pauvres (notamment AES).

    Ce qui est nouveau, c’est que les pouvoirs publics, qui refusent de reconnaître le droit des universités à sélectionner et s’apprêtent à le supprimer au niveau du M2 (voir les propos très inquiétants à cet égard d’Isabelle This Saint-Jean), les encouragent à recourir au maximum à ces subterfuges (interview de Thierry Mandon), autrement dit favorisent la hiérarchisation symbolique et matérielle des universités françaises après avoir favorisé le développement de l’enseignement supérieur non-universitaire.

    Au nom du principe d’égal accès des jeunes français à l’enseignement supérieur (mais en fait pour peser à la baisse sur leur taux de chômage), on est en train de favoriser le développement de cursus pour les pauvres dans des établissements pour les pauvres. Parallèlement, on met en place des dispositifs-passerelles pour permettre à quelques pauvres méritants d’échapper à ce destin (cf. la politique de « discrimination positive » initiée par Richard Descoing à Sciences-Po), ce qui prouve bien que l’on ne considère plus les cursus universitaires comme d’authentiques voies de promotion sociale.

    Ce qu’il faut retenir in fine, c’est :

    1. Que le refus démagogique d’une discussion sereine autour de la question de la sélection conduit à rendre sans cesse le système plus sélectif, plus injuste, plus arbitraire. Les tensions croissantes qui se manifestent dans les cursus pour les pauvres des établissements pour les pauvres devraient commencer à faire réfléchir les pouvoirs publics.

    2. Que la place qui est donnée aux universités dans le système va conduire inéluctablement à moyen terme à un changement radical du statut des enseignants dans ces établissements, idée qui pointe dans l’interview de Thierry Mandon. Sur ce point, ce sont les universitaires et notamment les plus jeunes qui devraient commencer à réfléchir au caractère intenable à moyen terme de l’hypocrisie actuelle.